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« [Viens] vers moi, toi, heureux citoyen du monde, qui habites le pays où existent encore bonheur, joie et plaisir, et je te raconterai comment les ignobles criminels modernes ont transformé le bonheur d’un peuple en malheur, changé sa joie en éternelle tristesse, détruit à jamais son plaisir de vivre.
Viens vers moi, toi, libre citoyen du monde, dont la vie est assurée grâce à la morale humaine et l’existence garantie par la loi, et je te raconterai comment les modernes criminels et ignobles bandits ont piétiné la morale de la vie et anéanti les lois de l’existence.
[…]
Viens vers moi, toi, libre citoyen du monde, qui as eu le bonheur de ne pas subir la domination des cruels [--] animaux bipèdes, et je te raconterai par quelles méthodes raffinées et sadiques ils ont assassiné des millions de membres du peuple d’Israël, sans défense, isolés, que personne n’a protégés. Viens et vois comment un peuple civilisé a été changé par une loi sauvage et diabolique [qui est née dans] la tête du plus grand bandit et du plus ignoble criminel [que] le monde sadique ait créé jusqu’à son époque.
Viens dès maintenant, alors que la destruction se poursuit encore à plein [--], viens dès maintenant, alors que l’extermination règne encore jalousement. [Viens dès maintenant] alors que l’ange de la mort exerce encore sa domination. Viens dès maintenant, alors que les bûchers flambent encore d’un grand feu.
Viens, lève toi, n’attends pas que le déluge soit passé, que le ciel s’éclaircisse et que le soleil se mette à briller, car alors tu t’arrêteras étonné et tu ne croiras pas ce que ton œil te montrera. Et qui sait si, une fois le déluge disparu, n’auront pas aussi disparu ceux qui, en tant que survivants, auraient pu témoigner et te raconter la vérité. »
Ces mots de Zalmen Gradowski, membre du Sonderkommando de Birkenau, traduisent admirablement la volonté de témoigner par delà la mort de ceux qui, condamnés par les nazis aux tâches les plus ignobles dans les chambres à gaz et les crématoires du camp, prirent tous les risques pour transcrire clandestinement ce qu’ils voyaient et vivaient tous les jours à Birkenau afin que la mémoire du massacre perpétré par les nazis ne sombre pas dans la nuit de l’oubli.
C’est ainsi que, lors de fouilles organisées autour des crématoires par une Commission d’enquête de l’Armée rouge, furent retrouvés, en février 1945, le manuscrit de Haïm Herman rédigé en français, puis celui de Zalmen Gradowski en mars et en avril celui de Lejb Langfus, tous deux rédigés en yiddish. En avril 1952, un nouveau texte attribué à Langfus est exhumé, puis deux textes de Zalmen Lewental, rédigé en yiddish, sont découverts en juillet 1961 et en octobre 1962. Enfin, en octobre 1980, un texte en grec écrit par Marcel Nadsari est retrouvé.
C’est à la découverte des textes de Zalmen Gradowski, de Lejb Langfus et de Zalmen Lewental, plus communément appelés « Megilot Auschwitz » (Les Rouleaux d’Auschwitz), que nous invite l’ouvrage Des voix sous la cendre. Manuscrits des Sonderkommandos d’Auschwitz-Birkenau.
Témoignages bouleversants rédigés au plus près du massacre organisé et planifié par les nazis, ces textes sont complétés par des interventions d’historiens de la Shoah, des dépositions faites lors du procès de Cracovie en 1946 et les témoignages de trois rescapés du Sonderkommando : Szlama Dragon, Henryk Tauber et Alter Feinsilber.
Une lecture indispensable pour comprendre et ne pas oublier l’une des périodes les plus sombres de l’histoire de l’humanité.