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La vraie histoire de Schindler

Nouveau messagePosté: 17 Nov 2008, 14:51
de François Delpla
Bonjour !

Je trempe un peu dans l'édition française de ce livre, à paraître en février :
http://www.nytimes.com/2008/11/02/books ... ref=slogin

Bien plus passionnant, et plus instructif sur le IIIème Reich, que le film !

Re: La vraie histoire de Schindler

Nouveau messagePosté: 02 Déc 2008, 18:28
de François Delpla
Le livre de Mietek Pemper, V. Hertling, M. Müller Der rettende Weg. Schindlers Liste - Die wahre Geschichte. Hoffmann und Campe, 2005, à paraître en février ou mars prochain chez l'Archipel, sous le titre La route vers la liberté, devrait faire date dans l'historiographie.

L'auteur, un étudiant prometteur né en 1920 dans une famille commerçante aisée, partage le sinistre destin des Juifs de Cracovie à partir de l'occupation allemande. Il se retrouve coincé dans le ghetto, puis transféré au camp de travail forcé de Plaszow, dans la banlieue de la ville. Il va être embauché comme secrétaire par Amon Göth, le chef SS du camp et l'un des pires de son espèce, au point que ses congénères en viennent à le destituer et à l'arrêter pour corruption, le 13 septembre 1944. A cette date, Pemper travaille depuis un moment avec l'industriel allemand (et nazi) Oskar Schindler pour l'aider à sauver les travailleurs juifs de son usine d'Emalia, internés dans le camp, en transférant l'établissement dans une région moins menacée par l'avance soviétique (à Brünnlitz, dans les Sudètes). Leurs noms sont couchés sur une liste, qu'un film de Steven Spielberg immortalisera cinquante ans plus tard. Ceux qui n'ont pas eu la chance d'y figurer ont pour la plupart été liquidés avec le camp, directement ou par le biais d'un envoi à Auschwitz et autres lieux.

Pemper n'a jamais cessé de faire connaître cette histoire, jouant par exemple un grand rôle dans les procès d'après guerre en Pologne, comme témoin et comme interprète (il quitte ce pays en 1958 pour l'Allemagne de l'Ouest, où il réside toujours). Il est resté très lié à Schindler (qui a complètement raté son après-guerre) jusqu'à sa mort survenue en 1974. Or quasiment personne ne s'est intéressé à l'affaire, en dehors d'Israël, jusqu'au début des années 80; en 1982, le premier livre fut... un roman américain dans la grande tradition du genre, dû à la plume de Thomas Keneally. L'auteur avait cependant beaucoup rencontré les survivants, dont Pemper. Puis Spielberg fit son film (1993), et invita Pemper sur le tournage, à Cracovie, sans pour autant l'associer à l'écriture du scénario. Depuis lors, Pemper est souvent invité, et écume les établissements scolaires à la façon d'une Lucie Aubrac.

Ce livre très tardif donne à réfléchir sur les approximations du film -et de tous les récits qui l'ont accompagné. Pourtant, Keneally, tout le premier, n'avait pas fait de Schindler un héros en or massif -insistant en particulier, et même plus que de raison, sur son penchant pour la bouteille et sa vie affective foisonnante, lors même que son épouse Emilie se défonçait dans les opérations de sauvetage (elle meurt en 2001 et, film oblige, les héritiers ont droit à un télégramme de Bush junior alors qu'en 1974 Nixon se moquait bien de la mort d'Oskar).

S'il ne le dit pas aussi abruptement, on sent bien que Pemper écrit son livre, au moins en partie, pour redresser le portrait. Il écrit magnifiquement :

Au départ, c’était surtout un homme d’affaires qui voulait gagner de l’argent rapidement. Mais quand il vit dans quelles pitoyables conditions on nous faisait vivre au ghetto, son souci d’aider commença à grandir. Dans le camp sa décision d’être à nos côtés s’était déjà tellement fortifiée qu’il prit des risques pour nous et fit des sacrifices. Puis vint l’épanouissement, unique en son genre, de son action de sauvetage : la liste, le déménagement à Brünnlitz et la persévérance jusqu’à la délivrance de 1945.
Son comportement ne collait guère à l’image d’un patron nazi dans un atelier dépendant d’un camp. Je suis d’avis qu’on devrait parler uniquement de ses bons côtés. Quand on me demande lors de mes conférences s’il est exact qu’il ait eu beaucoup de maîtresses, je réponds seulement : « Voyez-vous, nous étions en train de nous noyer et découvrions sur la rive un homme qui avait déjà enlevé sa veste pour sauter à l’eau. Pensez-vous vraiment que nous devions d’abord demander à ce courageux : 'Pardon monsieur, est-ce que vous trompez votre femme ? Parce que dans ce cas, vous n’avez pas le droit de nous repêcher.' »
Je pense qu’il est heureux que Schindler ait été comme il était : aussi imprudent, aussi vaillant, aussi courageux, aussi endurant à l’alcool, aussi dépourvu de peur. Lui qui ni avant ni après la guerre ne sut rien accomplir de saillant mena de bout en bout avec sa femme une action salvatrice qui aujourd’hui à la surface du monde, en comptant les conjoints, les enfants et les petits enfants, est responsable directement ou indirectement de la vie de six mille personnes. C’est l’essentiel. Le reste ne compte pas.


Comme les neuf dixièmes de la littérature antinazie, les productions antérieures sur ce sujet sous-estiment la solidité et la pertinence, par raport à ses buts, de ce système. On a l'impression que les SS étaient des tigres de papier, sensibles, quand on savait les prendre, au schnaps et aux diamants. Le lecteur ou le spectateur en déduisent facilement qu'il aurait pu exister de nombreux Schindler, s'il y avait eu plus de courageux sachant dire non. Ce livre montre très concrètement le contraire. Il y fallait un Schindler avec ses défauts... et un Göth avec les siens. S'il n'avait pas été flemmard et inculte au point de laisser Pemper prendre une place inouïe, pour un Juif, dans la gestion d'un camp, et évidemment aussi s'il n'avait pas été arrêté pile au bon moment, adieu le sauvetage.

Passionnant ! Je suis en train de lire pas mal de choses sur la question, et il faut que je revoie le film.

Riches débats en perspective avec les accros de cette "liste", qui le mérite.

Re: La vraie histoire de Schindler

Nouveau messagePosté: 05 Jan 2009, 15:49
de Schwarze Kapelle
François Delpla a écrit:Bonjour !

Je trempe un peu dans l'édition française de ce livre, à paraître en février :
http://www.nytimes.com/2008/11/02/books ... ref=slogin

Bien plus passionnant, et plus instructif sur le IIIème Reich, que le film !


Certes François, mais sans le film qui se serait donc intéressé à Oskar Schindler à part une poignée de spécialistes ? :drama:

Pas de mauvais procès... :mrgreen:

Par contre merci pour ton lien et ton texte qui permettent d'aller un peu plus loin que le film.

SK

Re: La vraie histoire de Schindler

Nouveau messagePosté: 06 Jan 2009, 10:39
de Daniel Laurent
Bonjour,
A ma connaissance, ce qui a commence a rendre Schindler celebre hors d'Israel, c'est le livre de Thomas Keneally, Schindler's Ark, publie en 1982 et reedite sous le titre Schindler's List en 1993 apres la sortie du film.

Re: La vraie histoire de Schindler

Nouveau messagePosté: 06 Jan 2009, 11:10
de Pacificelectric
François Delpla a écrit: Schindler (qui a complètement raté son après-guerre)


Ce sont ses faiblesses et ses aveuglements qui font la grandeur de l'être humain....

Re: La vraie histoire de Schindler

Nouveau messagePosté: 06 Jan 2009, 11:39
de Schwarze Kapelle
Daniel Laurent a écrit:Bonjour,
A ma connaissance, ce qui a commence a rendre Schindler celebre hors d'Israel, c'est le livre de Thomas Keneally, Schindler's Ark, publie en 1982 et reedite sous le titre Schindler's List en 1993 apres la sortie du film.


Il serait intéressant de savoir combien d'exemplaires ont été respectivement vendus de "Schindler's Ark" et de "Schindler's list"...

SK

Re: La vraie histoire de Schindler

Nouveau messagePosté: 06 Jan 2009, 12:20
de Jumbo
Je suis d'accord avec schwarze kapelle, sans le film de Spielberg, même avec ses éventuelles approximations, je fais partie de ceux qui n'auraient certainement jamais entendu parlé de ce personnage. Et ayant récemment re-regarder le film, j'avoue qu'il m'a encore passionné.

Re: La vraie histoire de Schindler

Nouveau messagePosté: 06 Jan 2009, 12:52
de François Delpla
Dois-je préciser que je n'ai rien contre Spielberg et même beaucoup pour puisque, non content de populariser l'histoire de ce sauvetage aussi unique que négligé, il en a consacré les bénéfices à fonder une institution qui recueille sur pellicule les témoignages des déportés et des enfants cachés ?

Ce qui me paraît indispensable en revanche c'est, une fois que le public a été appâté par cette histoire à l'américaine de héros seul contre tous, de le faire progresser dans la connaissance des enjeux et possibilités véritables de l'époque. Et cela a bien tardé. En 2004 est paru un premier examen d'ensemble de l'affaire par un historien universitaire, David Crowe... et Pemper, qui l'a lue de près, lui administre deux banderilles qui font mal.

Pour en revenir à Spielberg, Pemper raconte leurs discussions pendant le tournage et indique

-que son personnage a été fondu avec celui d'Itzak Stern pour des raisons pédagogiques (ne pas risquer de perdre le spectateur en multipliant les personnages) peu convaincantes -Stern travaillant au sein de l'encadrement de l'entreprise Schindler et Pemper dans le secrétariat du camp de Plaszow, deux plans qu'il était très fâcheux de mélanger;

-qu'il a vainement tenté de dissuader Spielberg de faire abuser sexuellement une détenue par Göth... qui avait tous les vices sauf celui de se compromettre "racialement" de la sorte.

De ce point de vue, il pousse peut-être son bouchon un peu loin lorsqu'il suggère qu'aucun SS n'approchait aucune Juive.

Re: La vraie histoire de Schindler

Nouveau messagePosté: 06 Jan 2009, 12:55
de hell on wheels
Le film est très poignant. Il faut aussi faire remarquer que la bande originale (ou score en VO) est exceptionnelle. Voir le film en supprimant la musique l'accompagnant, et la densité dramatique n'est plus la même.
On s'éloigne un peu de la présentation de François....
Amicalement
How

Re: La vraie histoire de Schindler

Nouveau messagePosté: 06 Jan 2009, 17:16
de Daniel Laurent
hell on wheels a écrit:On s'éloigne un peu de la présentation de François....

Nous sommes la au coeur du probleme Delplaien : Plus on lit le bougre et plus on s'eloigne des presentations heroico-sentimentales holywoodiennes (ou autres) et plus on se rapproche de la verite historique qui est, en general, peu propice aux scenaristes et realisateurs.

Mais j'avoue humblement qu'un bon film de guerre, meme si bourre de raccourcis vertigineux, n'est pas pour me deplaire.
:mrgreen: