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Re: Diplomatie de Volker Schlondorff

Nouveau messagePosté: 16 Fév 2014, 14:21
de carcajou
Merçi François pour ton très bon texte, c'est toujours un plaisir de te lire.

carcajou

Re: Diplomatie de Volker Schlondorff

Nouveau messagePosté: 18 Fév 2014, 02:40
de carcajou
L'Express.fr

17-02-2014

Sébastien Vannier


Diplomatie de Volker Schlondorf- Paris tenu

« Dans son film «Diplomatie», Volker Schlondorf nous raconte ce qui aurait pu être le dernier jour de Paris. Un duel magistral entre André Dussolier et Niels Arestrup.

La Berlinale semble avoir voulu souhaiter à sa manière les 70 ans du Débarquement allié. Avec deux réalisateurs de renom qui se sont intéressés à cette année 1944. D'un côté George Clooney et son très attendu Monuments Men qui retrace l'histoire de cette unité spéciale dont la mission était de sauver les œuvres d'art européennes des griffes des national-socialistes mais également des Russes. De l'autre le très francophile Volker Schlöndorff et son Diplomatie qui relate cette nuit d'août 1944, où, avant de quitter Paris, les Allemands avaient bien l'intention de réduire la capitale en miettes. De match, il n'y a pas vraiment eu. George Clooney réussit certes toujours à faire s'égosiller ses fans de tous âges mais son film sent l'épopée américaine à plein nez. Décevant de la part de celui qui nous avait habitués à être plus critique de son propre pays.

Volker Schlöndorff en revanche nous offre un duel au sommet entre le général Dietrich von Choltitz et le consul général de Suède Raoul Nordling. Les troupes alliées avancent sur le territoire français- l'équipe de George Clooney donc aussi certainement si on voulait calquer les deux films- et les soldats allemands comprennent que Paris est perdu. Hitler veut cependant adopter la politique de la terre brûlée et raser Paris. «Paris ne doit pas tomber aux mains de l'ennemi, ou alors dans un champ de ruines». La Tour Eiffel, l'Arc de triomphe, le Louvre, tous les ponts, tous est déjà miné et prêt à sauter. Jusque-là, les faits sont historiquement vérifiés. Quelles sont cependant les raisons qui ont poussé l'inflexible Général von Choltitz à désobéir au Fuhrer ?

La pièce de Cyril Gély, reprise donc par Volker Schlöndorff, nous propose une version diplomatique. André Dussolier, alis Raoul Nordling, mu par amour de Paris, tente de convaincre un général von Chltitz tiraillé. Ce duel verbal entre deux hommes qui savent que l'Histoire les jugera sur ce moment précis et qui jonglent entre intérêts personnels et leurs propres nations, est un exemple de stratégie, de rhétorique et de suspens. Même si, on doit bien l'avouer, on se doute un peu de la fin. Car, en toile de fond de ce film, se pose la véritable question: quelles auraient été les conséquences si Paris avait vraiment volé en éclat, ce qui était en passe d'être le cas ? Il y a fort à penser que les relations franco-allemandes et même l'itinéraire de Volker Schlöndorff, qui prouve encore une fois ici son admiration pour la France et Paris, en auraient été fort différents.»

http://blogs.lexpress.fr/electoralleman ... aris-tenu/

Re: Diplomatie de Volker Schlondorff

Nouveau messagePosté: 18 Fév 2014, 10:56
de François Delpla
Le Niagara des préjugés, porté par des cultureux, contre l'histoire, le bon sens et l'examen tout bête des faits !

Cela me rappelle l'affaire Karski-Haenel et le brusque redémarrage de l'incendie au festival d'Avignon, alors que les historiens l'avaient à peu près éteint : http://jcdurbant.wordpress.com/2010/02/ ... /#comments .

Mais comme rien n'est jamais fatal, le Monde avait un instant freiné sa décadence : http://www.lemonde.fr/ete/article/2011/ ... 83719.html

Re: Diplomatie de Volker Schlondorff

Nouveau messagePosté: 18 Fév 2014, 21:42
de François Delpla
Après avoir vu la bande-annonce et lu deux ou trois articles, je pense que ce film habilement promu, dont la sortie française devra encore attendre deux semaines, est une belle occasion de montrer l'utilité du travail historique, qu'il porte sur la grande stratégie politique et militaire, ou sur les détails matériels de sa mise en oeuvre.

On nous chante que tout Paris était, à l'aube du 25 août 1944, soit le jour même de sa libération (et alors que, dans la soirée du 24, les cloches avaient déjà salué l'arrivée de Dronne par la porte d'Orléans), miné et prêt à sauter. Heureusement, un héros du Bien avait passé la nuit avec le chef militaire allemand (en tout Bien tout honneur !) et l'avait décidé à ne pas appuyer sur ce qui était sans doute un bouton, à même de déclencher tout le feu d'artifice.

Conclusion (du moins dans les article, les interviews de Schlöndorff ou de Dussolier, etc.) : rendez-vous compte, s'il y avait eu la destruction de Paris pour dresser les Français contre les Allemands, on n'aurait pas pu faire l'Europe !

Faire de l'histoire, c'est se poser quelques questions un peu terre à terre : ah tiens, la tour Eiffel était minée ? quand donc et par qui ? Aucun employé n'avait alerté la Résistance ? Aucun Parisien n'avait menacé les poseurs de charges ? etc. C'est aussi fourrer un peu son nez dans la cuisine des chefs : que voulait, qu'espérait Hitler ? Quels ordres exacts avait-il donnés et quand ? J'ai fourni plus haut quelques réponses : il donne à Choltitz des ordres très généraux de combat le 7 août, puis le recontacte le 23 et, alors, parle bien de destructions, mais uniquement pour les besoins et dans le feu du combat.

Concrètement, les seules constructions qu'il ait été sérieusement question de détruire par explosifs sont les ponts, dont certains ont fait l'objet d'un minage... que Choltitz assure ne pas avoir ordonné.

Et bien entendu, le 25 au matin, la Résistance était en mesure d'empêcher tout dynamitage des principaux monuments.

Conclusion : celui qui voulait faire l'Europe, du moins une Europe occidentale, solidement anticommuniste, c'est Hitler ! Comme très souvent dans sa carrière, il pratiquait la menace pour faire marcher droit les gens. Il n'avait pas spécialement l'intention de préserver les monuments de Paris et les aurait sacrifiés s'il y avait trouvé son intérêt, mais ce n'était pas du tout le cas dans la nuit du 24 au 25 août 1944.

Re: Diplomatie de Volker Schlondorff

Nouveau messagePosté: 18 Fév 2014, 21:53
de dominord
François vilain casseur de mythe, et comment on peut faire un film a suspens avec un tel scénario ?

Re: Diplomatie de Volker Schlondorff

Nouveau messagePosté: 19 Fév 2014, 18:18
de François Delpla
Mais Domi, je reconnais à la fiction tous les droits et conviens avec le vieux Dumas qu'on a celui de violer l'histoire, pourvu qu'on lui fasse de beaux enfants. Le problème commence quand on déclare au commissaire qu'elle était consentante; autrement dit, qu'on lui voue un saint respect, sans s'en être départi une seconde.

C'est le scénario du bouquin de Yannick Haenel sur Jan Karski, lui-même devenu une pièce et pourquoi pas bientôt un film, qui se renouvelle http://fr.wikipedia.org/wiki/Jan_Karski_%28roman%29
http://www.google.fr/url?sa=t&rct=j&q=& ... 5280,d.d2k
Le faussaire, à la suite du courageux couac lancé par Annette Wieviorka au sein d'une critique unanimement louangeuse, avait fini par battre en retraite en invoquant son droit à l'invention, après avoir clamé à longueur d'interview pendant six mois qu'il avait complété les lacunes des documents sans s'écarter de l'histoire !

Un peu avant il y avait eu un piètre roman sur Hitler et Geli, lui aussi prétendant se tenir au plus près de l'histoire, et très insuffisamment démystifié par la presse http://www.delpla.org/article.php3?id_article=225 .

Pour en revenir au menu du jour, Gaumont met en ligne un "dossier pédagogique" http://diplomatie.gaumont.fr/ressources ... iques.html propre à fourrer bien des idées fausses dans la tête des chérubins. Exemple :


Pour faire mesurer aux élèves la complexité des choix qui s’imposent aux acteurs de la guerre, on peut leur faire reconstituer l’évolution au cours du film de deux ou trois personnages aux parcours sinueux : von Choltitz bien sûr, mais aussi l’ingénieur français tour à tour collaborateur et résistant, ou le soldat allemand chargé de superviser l’explosion, d’abord docile puis finalement rebelle.
On peut également les inviter à réfléchir plus largement à la question de l’autorité et
de l’obéissance aux ordres, en temps de guerre, et ainsi éclairer l’un des plus puissants
ressorts de la guerre d’anéantissement.
L’étude d’extraits des ouvrages d’Hannah Arendt et de Stanley Milgram peut constituer
un support efficace pour aborder ces questions.


Hélas Arendt et Milgram ont en commun une certaine banalisation du nazisme. Quant à l'auteur du dossier, avec une expression comme "la complexité des choix qui s’imposent aux acteurs de la guerre", on peut craindre qu'il ait tendance à mettre dans le même sac les deux guerres mondiales, et bien d'autres encore.

Re: Diplomatie de Volker Schlondorff

Nouveau messagePosté: 19 Fév 2014, 18:53
de François Delpla
PS.- Dans les "thèmes de réflexion" proposés par le dossier, le nazisme est également bien éclipsé :

- Occupation et Libération
- Guerre et destruction
- Obéissance et persuasion
- Paris en août 1944 et une carte interactive

Re: Diplomatie de Volker Schlondorff

Nouveau messagePosté: 19 Fév 2014, 21:22
de dominord
François j'adore votre façon de nous narrer l'histoire à nous les anciens, qui l'avons apprise "à l'ancienne"

pour les jeunes générations :

"Les thématiques soulevées par le film Diplomatie s’inscrivent pleinement dans la logique des nouveaux programmes d’Histoire des classes de Troisième et de Première."

merci encore :sweet:

Re: Diplomatie de Volker Schlondorff

Nouveau messagePosté: 20 Fév 2014, 01:37
de carcajou
Merçi pour les mises au point François. C'est de l'information qui m'aide à me faire une idée sur l'Occupation allemande en France.

Re: Diplomatie de Volker Schlondorff

Nouveau messagePosté: 20 Fév 2014, 07:11
de François Delpla
Effectivement, ce film me semble un excellent support pédagogique... pour les vrais enseignants, historiens, journalistes, citoyens pourvus de sens civique, etc.

Dès la maternelle, et en laissant sa place au conte de fées quand c'est du surnaturel que clairement il s'agit, il est possible de mettre en garde contre les faux héros, les faux dilemmes, les solutions trop simples et le moralisme bébête.

Pour ma part, en application d'un tic qui n'est d'ailleurs pas, dans mon travail, tout à fait antique, je remonterai à Mein Kampf et à février 1933 :

-ce bouquin est l'oeuvre d'un fou, et on peut pour le montrer l'ouvrir presque au hasard;

-qu'une Allemagne frustrée par une guerre et ravagée par une crise l'ait porté à sa tête est beaucoup moins surprenant que l'indifférence apparente d'une communauté internationale qui venait de se doter d'une SDN prévue pour ce genre de cas;

-ne pas réagir (non par une guerre, qui eût groupé bien des gens autour de Hitler, mais par une simple quarantaine, qui en aurait prestement dégoûté tout le monde), c'est cela qui mène en toute sûreté à une "guerre d'anéantissement" et menace le plus les monuments de Paris (ici, on peut mentionner, même en maternelle et même au sein d'un discours pro-européen, les passages de MK qui exhalent une haine viscérale de la France et les opposer au langage des politiciens de tous bords des années trente qui les ignorent ou les édulcorent).

Donc, amener les bambins voir ce film oui, à condition de les munir d'un contre-dossier démentant point par point celui de Gaumont, pour les vacciner contre la théorie de l'homme providentiel et, pourquoi pas, les initier à Churchill. Ce dernier va vaincre le dragon non par la sainteté (!), mais par le travail, la patience, la générosité envers les aveugles, le guet inlassable de la faute et une bonne dose de contre-roublardise.