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Nouveau messagePosté: 23 Juil 2007, 17:51
de Nicolas Bernard
L'épuisement nerveux... Il est vrai que Manille a un petit air de décadence pour les esprits occidentaux.

La vérité est que MacArthur n'en a fait qu'à sa tête, comme il le fera souvent par la suite, souvent en bien (la reconquête du Pacifique, la gestion de l'après-guerre japonais, malgré l'indulgence toute politique à certains criminels de guerre, le débarquement d'Inchon), occasionnellement en mal (il n'a guère tenu compte de l'éventualité d'une offensive chinoise en Corée du Nord fin 1950, et envisageait de lâcher la Bombe sur la Chine !).

Nouveau messagePosté: 23 Juil 2007, 21:30
de Focus
:( Que de vies gachées par ce que je croyais être quelqu'un de bien.

Quelle déception. Pauvres "Marines". Est - il possible d'évaluer les suites de sa mauvaise gestion dans le déroulement ultérieur de la guerre du Pacifique?

{N'était - il pas aussi en charge de la Guerre de Corée ? Entre quelles mains, là bas, étaient nos paras (dont le cousin de mon père : Etienne Gailly)}


:) A tous et toutes, bonne soirée/journée.

Nouveau messagePosté: 24 Juil 2007, 00:19
de Nicolas Bernard
N'exagérons rien. :mrgreen: MacArthur était un brillant capitaine. Son talent militaire est incontestable. Il a réussi à revenir aux Philippines, tenant ainsi sa promesse faite en 1942, et saigné un grand nombre de divisions japonaises. La manière dont il a retourné la situation en Corée face à l'invasion communiste est un modèle du genre.

Par ailleurs, ce général avait compris, comme le maréchal Montgomery, l'importance extrême de la mise en scène et du symbole. Il a créé son propre mythe, lequel était destiné à conforter ses propres ambitions politiques, mais a surtout rassuré une nation traumatisée par le désastre de Pearl Harbor. Par sa promesse digne de Terminator ("Je reviendrai !"), il a suscité un certain espoir, même si cette formule, sur le moment, n'a guère convaincu certains militaires américains, puisqu'elle a été parodiée sous toutes ses formes chez les adversaires de "Mac" (exemple : "Je vais aux chiottes... mais je reviendrai !").

Au passif, néanmoins, d'aucuns ont signalé que sa "marche" de libération d'île en île vers les Philippines n'a guère eu d'impact sur le cours de la guerre, et que l'offensive de Nimitz dans le Pacifique central a été bien plus décisive, puisque posant les bases des raids aériens et d'une éventuelle invasion du Japon lui-même. Les sous-marins américains avaient réussi ce que les U-Boote avaient échoué de peu dans l'Atlantique, à couper les voies d'approvisionnement maritime entre le "Sanctuaire national" et ses possessions du Sud-Est asiatique, asphyxiant peu à peu l'Empire du Soleil levant.

Tout comme la reconquête de la Birmanie, la poussée de MacArthur vers les Philippines relevait davantage du symbole que de la stratégie, la nécessité d'effacer un affront pour l'orgueil national. Churchill avait prié le général britannique Slim de reconquérir Mandalay et Rangoon pour déferler ensuite sur Singapour : l'opinion publique américaine, sensibilisée par l'intense campagne médiatique déclenchée par MacArthur avec l'argent philippin, réclamait une revanche sur les désastres de Bataan et Corregidor. Il est probable que "Mac" recherchait également, et avant tout, à satisfaire son égo.

La bataille des Philippines a dévasté cet archipel. La capitale, Manille, a été mise à sac par les fusiliers-marins du très dégénéré amiral Iwabuchi. De son côté, l'armée nippone du général Yamashita - l'un des meilleurs cerveaux de l'armée impériale - a réussi à mener des combats retardateurs qui ont bloqué sur place de nombreuses unités américaines jusqu'à la reddition finale du 2 septembre 1945. Cela étant, les forces de Yamashita, assez importantes, auraient également été utiles à l'Empire face aux Britanniques en Birmanie ou face aux Soviétiques en Mandchourie.

Bref, un bilan assez glorieux - car MacArthur revenait de loin -, mais stratégiquement mitigé. Tout au plus peut-on considérer que MacArthur a contribué à affaiblir le potentiel militaire nippon, et à permettre à Nimitz d'avancer plus rapidement vers Tokyo, mais ce n'est certainement pas dans le Pacifique Sud, ni même en Birmanie, que le sort du Japon s'est joué. Le général américain a d'ailleurs tempêté contre les raids nucléaires, pour cette simple et excellente raison qu'ils le frustraient d'une victoire totale. Il saura toutefois mettre en scène - et ce fort brillamment - la capitulation japonaise en baie de Tokyo, à bord du cuirassé Missouri. Un superbe moment, un grand étalage de la puissance américaine.

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Par la suite, "Mac" a réussi à stabiliser le Japon occupé, mais a protégé un certain nombre de criminels de guerre, tels que l'Empereur lui-même, au nom de sa politique de réconciliation. Peut-être était-ce là le prix à payer. Après coup, j'en suis moins convaincu.

Par ailleurs, s'il a été capable de repousser l'armée nord-coréenne en 1950 et de la mettre en pièces suite au remarquable débarquement d'Inchon, il a sous-estimé la détermination chinoise à venir en aide au régime de Pyongyang (d'ailleurs tombée aux mains des Nations unies entre-temps), et n'a pas été capable d'endiguer la marée de "volontaires" expédiés au casse-pipes par Mao. Il poussera l'inconscience jusqu'à demander à effectuer des raids nucléaires sur la Chine... Truman saura le faire tomber, ce qui ne l'empêchera pas de revenir aux Etats-Unis en triomphateur.

Bref, une personnalité à la fois géniale et insupportable, oscillant entre le messianisme et le cynisme le plus abject, en tous les cas un affamé de gloire. Malgré tout le genre d'officier qu'une nation gagne à posséder.

Nouveau messagePosté: 24 Juil 2007, 14:13
de romualdtaillon
Nicolas Bernard a écrit:N'exagérons rien. :mrgreen: MacArthur était un brillant capitaine. Son talent militaire est incontestable. Il a réussi à revenir aux Philippines, tenant ainsi sa promesse faite en 1942, et saigné un grand nombre de divisions japonaises. La manière dont il a retourné la situation en Corée face à l'invasion communiste est un modèle du genre.

Par ailleurs, ce général avait compris, comme le maréchal Montgomery, l'importance extrême de la mise en scène et du symbole. Il a créé son propre mythe, lequel était destiné à conforter ses propres ambitions politiques, mais a surtout rassuré une nation traumatisée par le désastre de Pearl Harbor. Par sa promesse digne de Terminator ("Je [email]reviendrai !"), il a suscité un certain espoir, même si cette formule, sur le moment, n'a guère convaincu certains militaires américains, puisqu'elle a été parodiée sous toutes ses formes chez les adversaires de "Mac" (exemple : "Je vais aux chiottes... mais je reviendrai !").

Il est probable que "Mac" recherchait également, et avant tout, à satisfaire son égo.

Bref, un bilan assez glorieux - car MacArthur revenait de loin -, mais stratégiquement mitigé. Tout au plus peut-on considérer que MacArthur a contribué à affaiblir le potentiel militaire nippon, et à permettre à Nimitz d'avancer plus rapidement vers Tokyo, mais ce n'est certainement pas dans le Pacifique Sud, ni même en Birmanie, que le sort du Japon s'est joué.


Je ferai une dernière intervention personnelle sur Mac Arthur dans cette rubrique car je ne voudrais pas dévier le sujet qui est : Pearl Harbor.

MA était vraisemblablement meilleur à l'offensive qu'à la défensive. Si l'opération Carwheel a été un succès, sa stratégie à Bataan était contraire aux ordres du quartier général de Washington qui lui avait recommandé d'éviter l'affrontement direct avec les troupes de Homma, résultat : les américains et les philippins se sont retrouvés assiégés à Bataan alors que Dugout Doug, le surnom que lui avait donné ses officiers par dérision en raison de sa crainte apparente du front, se réfugiait piteusement en Australie en abandonnant ses hommes. Il fallait une stratégie médiatique bien efficace pour faire de ce «I shall return» une phrase à connotation héroïque...


Par la suite, "Mac" a réussi à stabiliser le Japon occupé, mais a protégé un certain nombre de criminels de guerre, tels que l'Empereur lui-même, au nom de sa politique de réconciliation. Peut-être était-ce là le prix à payer. Après coup, j'en suis moins convaincu.


Effectivement, il ne faut pas oublier que l'abdication de Hirohito a été réclamée par les frères de Hirohito et publiquement à deux reprises par son oncle, le prince Higashikuni. Sans parler des commentaires publics de Konoe, du juge en chef de la Cour suprême du Japon, du président de l'Université impériale ou du poète Tatsuji Miyoshi.

Il me revient ici en mémoire la lettre adressée par Kido à son souverain en octobre 1951 : «Votre Majesté a été justement exonérée mais afin d'honorer la maison impériale, elle soit considérer l'abdication à un moment approprié ... L'abdication serait un acte conforme à la vérité... Si votre Majesté laisse passer cette opportunité, elle fera en sorte que seule la famille impériale aura renoncé à assumer sa responsabilité...»

Nul doute qu'une inculpation aurait fait grand bruit mais qu'une destitution avec la mise en place d'une régence aurait aisément pu être faite n'eut été de l'obsession présidentielle de MA.

Le fait d'avoir exonéré tous les membres de la famille impériale, les dirigeants des zaibatsu et les membres des unités de Shiro Ishii peut également être questionné. Pour les derniers, l'ordre venait de Washington mais MA ne l'a jamais contesté. Dans le premier cas, quelles auraient été les implications politiques d'accuser des mécréants comme Fushimi, Asaka et Takeda ? Y aurai-il vraiment eu «révolte» ?


Truman saura le faire tomber, ce qui ne l'empêchera pas de revenir aux Etats-Unis en triomphateur.

Bref, une personnalité à la fois géniale et insupportable, oscillant entre le messianisme et le cynisme le plus abject, en tous les cas un affamé de gloire. Malgré tout le genre d'officier qu'une nation gagne à posséder.



Un homme d'extrêmes en effet, dont l'auréole s'est toutefois rapidement ternie à la fois aux USA et au Japon, après les révélations faites au congrès sur sa gestion pendant la guerre de Corée. Outre ses recommandations célèbres d'atomiser la Chine qui ont fait grand bruit en Occident, les japonais eux se rappellent surtout de sa déclaration livrée en 1952 à un comité sénatorial devant lequel il a affirmé que le peuple américain était «un adulte de 45 ans» et le peuple nippon «un enfant de 12 ans».

Nouveau messagePosté: 24 Juil 2007, 23:33
de Nicolas Bernard
romualdtaillon a écrit:MA était vraisemblablement meilleur à l'offensive qu'à la défensive. Si l'opération Carwheel a été un succès, sa stratégie à Bataan était contraire aux ordres du quartier général de Washington qui lui avait recommandé d'éviter l'affrontement direct avec les troupes de Homma,


C'est effectivement la seconde erreur commise par le général américain. Il est vrai qu'il se croyait fort de pouvoir rejeter les Japonais à la mer. Les effectifs de l'envahisseur étaient deux fois inférieurs aux siens - mais son adversaire nippon, le général Homma, bénéficiait de la supériorité aérienne, outre qu'il pouvait compter sur son armement lourd et sur une infanterie bien entraînée. En face, les soldats philippins ont vite cédé à la panique. Comme le signale l'historien William Manchester, "Mac" avait su où les Japonais débarqueraient, mais commettra l'impair de rechercher l'affrontement direct.

Il me paraît exagéré d'écrire que MacArthur était meilleur attaquant que défenseur. Sa retraite vers Bataan est habile. Il est vrai qu'Homma fera preuve d'une certaine lenteur. N'empêche que le plan Orange, qui prévoyait un tel décrochage, sera appliqué avec succès. De fait, les Japonais perdront du temps.



résultat : les américains et les philippins se sont retrouvés assiégés à Bataan alors que Dugout Doug, le surnom que lui avait donné ses officiers par dérision en raison de sa crainte apparente du front, se réfugiait piteusement en Australie en abandonnant ses hommes. Il fallait une stratégie médiatique bien efficace pour faire de ce «I shall return» une phrase à connotation héroïque...


Il me semble que MacArthur s'est plutôt fait tirer l'oreille par Roosevelt pour quitter les Philippines, non ? Le Président Quezon avait également formulé une telle demande.


Effectivement, il ne faut pas oublier que l'abdication de Hirohito a été réclamée par les frères de Hirohito et publiquement à deux reprises par son oncle, le prince Higashikuni. Sans parler des commentaires publics de Konoe, du juge en chef de la Cour suprême du Japon, du président de l'Université impériale ou du poète Tatsuji Miyoshi.


L'attitude du Prince Higashikuni, Premier Ministre du Japon de 1945 à 1946, est effectivement éloquente. L'homme, esprit brillant, a soutenu les faucons dans les années trente, et ses responsabilités militaires l'ont amené à participer, certes de loin, au massacre de Nankin. Mais sitôt la capitulation décidée et lui-même nommé à la tête du Cabinet, il se lance dans une politique de repentance tous azimuts, s'efforçant de damer le pion aux Américains en matière d'esprit civique.

La stratégie était pour le moins habile. Le Prince ne s'opposait même pas au principe d'un procès des criminels de guerre, mais envisageait de confier ces affaires à des juges nippons.

Sa volonté de voir Hiro Hito abdiquer procédait de cette politique de repentance. Quelles que soient ses anciennes compromissions, Higashikuni aura la lucidité de reconnaître que la politique impériale avait été erronée - je ne crois pas me souvenir qu'il ait approuvé l'entrée en guerre du 7 décembre 1941.


Il me revient ici en mémoire la lettre adressée par Kido à son souverain en octobre 1951 : «Votre Majesté a été justement exonérée mais afin d'honorer la maison impériale, elle soit considérer l'abdication à un moment approprié ... L'abdication serait un acte conforme à la vérité... Si votre Majesté laisse passer cette opportunité, elle fera en sorte que seule la famille impériale aura renoncé à assumer sa responsabilité...»

Nul doute qu'une inculpation aurait fait grand bruit mais qu'une destitution avec la mise en place d'une régence aurait aisément pu être faite n'eut été de l'obsession présidentielle de MA.


Toujours est-il que la rumeur de l'abdication a circulé parmi la population. Cette dernière avait accepté "l'inacceptable" défaite de 1945 : la mise à la retraite de Hiro Hito n'aurait guère rencontré de résistance. Mais l'abdication de l'Empereur aurait eu pour directe conséquence de l'envoyer dans le box des accusés du Tribunal militaire international pour l'Extrême-Orient, qui allait débuter ses assises en 1946. MacArthur ne pouvait se le permettre.


Le fait d'avoir exonéré tous les membres de la famille impériale, les dirigeants des zaibatsu et les membres des unités de Shiro Ishii peut également être questionné. Pour les derniers, l'ordre venait de Washington mais MA ne l'a jamais contesté. Dans le premier cas, quelles auraient été les implications politiques d'accuser des mécréants comme Fushimi, Asaka et Takeda ? Y aurai-il vraiment eu «révolte» ?


A mon sens, vu l'état de la situation économique du pays en 1945-1946, le Japonais moyen s'en serait sans doute désintéressé. Mais "Mac" avait des idées bien arrêtées sur la pacification, et Washington également. S'agissant des experts de l'Unité 731 par exemple, il fallait absolument récupérer leurs précieux secrets, au nom de la Guerre Froide.



Un homme d'extrêmes en effet, dont l'auréole s'est toutefois rapidement ternie à la fois aux USA et au Japon, après les révélations faites au congrès sur sa gestion pendant la guerre de Corée. Outre ses recommandations célèbres d'atomiser la Chine qui ont fait grand bruit en Occident, les japonais eux se rappellent surtout de sa déclaration livrée en 1952 à un comité sénatorial devant lequel il a affirmé que le peuple américain était «un adulte de 45 ans» et le peuple nippon «un enfant de 12 ans».


Dommage... Un homme si brillant, si proche de la réussite totale : il a toujours réussi à tout gâcher à la dernière minute. Cela dit, à la différence de certains de ses collègues, tel que le général Charles Willoughby, son adjoint proche de l'extrême droite américaine, ou encore le général Edwin Walker, commandant de la 24th I.D. en Allemagne de l'Ouest et patron de l'association extrémiste John Birch Society, il ne s'engagera pas sur la voie de la dissidence et respectera le jeu démocratique américain.

Nouveau messagePosté: 25 Juil 2007, 14:41
de romualdtaillon
Nicolas Bernard a écrit: C'est effectivement la seconde erreur commise par le général américain. Il est vrai qu'il se croyait fort de pouvoir rejeter les Japonais à la mer. Les effectifs de l'envahisseur étaient deux fois inférieurs aux siens - mais son adversaire nippon, le général Homma, bénéficiait de la supériorité aérienne, outre qu'il pouvait compter sur son armement lourd et sur une infanterie bien entraînée. En face, les soldats philippins ont vite cédé à la panique. Comme le signale l'historien William Manchester, "Mac" avait su où les Japonais débarqueraient, mais commettra l'impair de rechercher l'affrontement direct.

Il me paraît exagéré d'écrire que MacArthur était meilleur attaquant que défenseur. Sa retraite vers Bataan est habile. Il est vrai qu'Homma fera preuve d'une certaine lenteur. N'empêche que le plan Orange, qui prévoyait un tel décrochage, sera appliqué avec succès. De fait, les Japonais perdront du temps.

Il me semble que MacArthur s'est plutôt fait tirer l'oreille par Roosevelt pour quitter les Philippines, non ? Le Président Quezon avait également formulé une telle demande.



Il n'empêche que les alliés se sont retrouvés rapidement (su 11 au 24 décembre) assiégés à Bataan loin du QG de Dugout Doug à Corregidor. Il est exact que l'ordre de se réfugier en Australie provenait de Roosevelt. Je ne faisais qu'invoquer le paradoxe de la «glorieuse retraite» qui laissait Wainwright et ses hommes à la merci de l'ennemi.

L'attitude du Prince Higashikuni, Premier Ministre du Japon de 1945 à 1946, est effectivement éloquente. L'homme, esprit brillant, a soutenu les faucons dans les années trente, et ses responsabilités militaires l'ont amené à participer, certes de loin, au massacre de Nankin. Mais sitôt la capitulation décidée et lui-même nommé à la tête du Cabinet, il se lance dans une politique de repentance tous azimuts, s'efforçant de damer le pion aux Américains en matière d'esprit civique.

La stratégie était pour le moins habile. Le Prince ne s'opposait même pas au principe d'un procès des criminels de guerre, mais envisageait de confier ces affaires à des juges nippons.

Sa volonté de voir Hiro Hito abdiquer procédait de cette politique de repentance. Quelles que soient ses anciennes compromissions, Higashikuni aura la lucidité de reconnaître que la politique impériale avait été erronée - je ne crois pas me souvenir qu'il ait approuvé l'entrée en guerre du 7 décembre 1941.



Higashikuni n'a été premier ministre qu'un seul mois, d'août à septembre 1945, le temps de procéder à l'acueil des forces d'occupation et d'organiser un service officiel de prostituées pour «préserver la pureté de la race» de «la frénésie des envahisseurs». Il a démissionné avec son cabinet suite à la controverse relative à la publication des photos montrant côte à côte Mac et Hirohito ayant amené le SCAP à abolir les lois de contrôle du régime shôwa et notamment à dissoudre la Tokko, la police de la pensée.

Son attitude est dans l'ensemble ambigue. Il a été directement impliqué dans les atrocités contre les civils chinois à titre de commandant du Service aérien de l'Armée et a procédé à moults bombardements stratégiques sur des objectifs civils ayant entraîné d'ailleurs une résolution de blâme du comité sur l'Extrême-Orient de la Société des Nations.

Comme tous les membres de la famille, il semble surtout avoir été contre la Guerre de la Grande Asie orientale APRÈS son déclenchement, notamment lors du putsh contre Tôjô. Higashikuni, contrairement à Nobuhito Takamatsu qui appartenait à la Marine, était avant tout membre de l'Armée. Sans s'être avant clairement affiché contre la guerre contre l'Occident, comme les princes Takamatsu ou Konoe, dont il était le choix comme successeur, il semble avoir pris à l'automne 1941 une position mitoyenne entre les deux camps.

En 1945, sa suggestion de former un tribunal de guerre, avec des juges agissant au nom de Hirohito (!!!), était avant tout destinée à couper l'herbe sous le pied des alliés et a été rejetée d'emblée par l'empereur : « Les hommes qui pourraient être considérés comme criminels de guerre par l'occupant accomplissaient loyalement leur devoir. Il serait intolérable de juger ces hommes en notre mon.»

S'il a proposé l'abdication à l'empereur pendant son mandat de PM, ses deux déclarations publiques ont été faites en février 1946, APRÈS sa démission, alors que la sélection des accusés devant le Tribunal de Tokyo battait son plein.

Mon opinion personnelle est que Higashikuni, comme ses neveux Chichibu, Takamatsu et Mikasa, désirait l'abdication de l'empereur non pour des motifs éthiques mais parce qu'il était persuadé que l'implication de Hirohito dans la conduite de la guerre en faisait un jouet dans les mains de l'envahisseur qui pouvait le faire chanter à son gré et diluer les principes de la Kokutai.

Toujours est-il que la rumeur de l'abdication a circulé parmi la population. Cette dernière avait accepté "l'inacceptable" défaite de 1945 : la mise à la retraite de Hiro Hito n'aurait guère rencontré de résistance. Mais l'abdication de l'Empereur aurait eu pour directe conséquence de l'envoyer dans le box des accusés du Tribunal militaire international pour l'Extrême-Orient, qui allait débuter ses assises en 1946. MacArthur ne pouvait se le permettre.


Il aurait été loisible d'exiger l'abdication de Hirohito, APRÈS le verdict du Tribunal en 1948, comme le préconisaient d'ailleurs Kido et les princesChichibu, Takamatsu, Mikasa et Higashikuni. En 1950, la tendance n'était plus au jugement des criminels mais à la guerre de Corée...

Nouveau messagePosté: 25 Juil 2007, 16:44
de Nicolas Bernard
Merci pour ces précisions. Effectivement, j'avais mal lu les bouquins d'Herbert Bix et John Dower : Higashikuni a démissionné en 1945. A son propos, vous écrivez :

romualdtaillon a écrit:Comme tous les membres de la famille, il semble surtout avoir été contre la Guerre de la Grande Asie orientale APRÈS son déclenchement, notamment lors du putsh contre Tôjô. Higashikuni, contrairement à Nobuhito Takamatsu qui appartenait à la Marine, était avant tout membre de l'Armée. Sans s'être avant clairement affiché contre la guerre contre l'Occident, comme les princes Takamatsu ou Konoe, dont il était le choix comme successeur, il semble avoir pris à l'automne 1941 une position mitoyenne entre les deux camps.


On sait que Konoye, Premier Ministre japonais en 1941, était hostile à la guerre contre l'Amérique. Mais par la faute de l'Empereur, sa position se précarisait de jour en jour. Toutefois, le 16 octobre 1941, son rival Tojo, chef de la faction belliciste, lui adressa un message confidentiel déclarant qu'il avait pris conscience des désaccords existant entre les militaires sur les possibilités de vaincre l'Amérique.

Tojo suggérait ainsi à Konoye de démissionner avec le gouvernement, afin de laisser le prince Higashikuni prendre la tête du nouveau cabinet. Modéré, Higashikuni serait le seul à pouvoir mettre fin au contentieux opposant la Marine à l'Armée dont Tojo représentait les intérêts. Démarche pour le moins étonnante, de la part d'un individu que la légende décrit comme un va-t-en-guerre… Cachait-elle une manœuvre politique destinée à piéger Konoye ? Toujours est-il que Konoye démissionna, mais l'Empereur refusa de nommer Higashikuni : un prince de sang impérial ne saurait être mêlé à la déclaration de guerre, si elle devait survenir. Tojo devint Premier Ministre.

Etait-ce à dire que l'Empereur avait définitivement opté pour la guerre ? Ce n'est pas certain, puisqu'il exigea du général nippon, qu'il savait totalement fidèle au trône, de poursuivre les négociations avec Washington. Le choix de Hiro-Hito lui fut inspiré par le conseiller spécial de ce dernier, le marquis Kido, proche de Tojo et lui-même renard de la politique. Kido voulait éviter de "mouiller" la famille impériale dans le déclenchement de la guerre : Tojo était le meilleur choix. Honnête, digne de confiance, il obéirait au doigt et à l'œil.

Mais le rôle d'Higashikuni, dans cette affaire, m'échappe - si tant est qu'il en eût un. Qui plus est, je me demande s'il n'y a pas eu là un coup monté par le marquis Kido, avec l'aide plus ou moins consciente de Tojo, pour forcer le départ de Konoye et éviter à l'Empereur de se "salir les mains" vis-à-vis de cette affaire.

Nouveau messagePosté: 25 Juil 2007, 17:52
de romualdtaillon
Nicolas Bernard a écrit:Merci pour ces précisions. Effectivement, j'avais mal lu les bouquins d'Herbert Bix et John Dower : Higashikuni a démissionné en 1945.

On sait que Konoye, Premier Ministre japonais en 1941, était hostile à la guerre contre l'Amérique. Mais par la faute de l'Empereur, sa position se précarisait de jour en jour. Toutefois, le 16 octobre 1941, son rival Tojo, chef de la faction belliciste, lui adressa un message confidentiel déclarant qu'il avait pris conscience des désaccords existant entre les militaires sur les possibilités de vaincre l'Amérique.

Tojo suggérait ainsi à Konoye de démissionner avec le gouvernement, afin de laisser le prince Higashikuni prendre la tête du nouveau cabinet. Modéré, Higashikuni serait le seul à pouvoir mettre fin au contentieux opposant la Marine à l'Armée dont Tojo représentait les intérêts. Démarche pour le moins étonnante, de la part d'un individu que la légende décrit comme un va-t-en-guerre… Cachait-elle une manœuvre politique destinée à piéger Konoye ? Toujours est-il que Konoye démissionna, mais l'Empereur refusa de nommer Higashikuni : un prince de sang impérial ne saurait être mêlé à la déclaration de guerre, si elle devait survenir. Tojo devint Premier Ministre.

Etait-ce à dire que l'Empereur avait définitivement opté pour la guerre ? Ce n'est pas certain, puisqu'il exigea du général nippon, qu'il savait totalement fidèle au trône, de poursuivre les négociations avec Washington. Le choix de Hiro-Hito lui fut inspiré par le conseiller spécial de ce dernier, le marquis Kido, proche de Tojo et lui-même renard de la politique. Kido voulait éviter de "mouiller" la famille impériale dans le déclenchement de la guerre : Tojo était le meilleur choix. Honnête, digne de confiance, il obéirait au doigt et à l'œil.

Mais le rôle d'Higashikuni, dans cette affaire, m'échappe - si tant est qu'il en eût un. Qui plus est, je me demande s'il n'y a pas eu là un coup monté par le marquis Kido, avec l'aide plus ou moins consciente de Tojo, pour forcer le départ de Konoye et éviter à l'Empereur de se "salir les mains" vis-à-vis de cette affaire.


1) Nul doute que Higashikuni aurait été ravi d'occuper la fonction de PM en 1941. Konoe l'avait consulté avant d'en parler à l'empereur. Le refus de Hirohito l'a sûrement pris au dépourvu d'autant plus que Konoe lui avait laissé entendre que l'empereur était favorable... (je reviendrai là-dessus avec la déclaration exacte des parties).

Comme vous le soulignez, l'élément prépondérant à l'automne 41 était la dissession entre les partisans de la Dai Tô'A sensô et les opposants. L'Armée y était favorable de même que l'état-major de la Marine mais pas la Marine elle-même. Lorsque Nobuhito avertit son frère Hirohito le 30 novembre 41 que « l'empire ne pourra tenir plus de 2 ans» contre l'Occident, il le fait au nom de la Marine muselée par Shimada et Nagano.

2) Le fait que la suggestion de Tôjô sur Higashikuni rejoigne celle de Konoe démontre que Higashikuni n'était identifié ni aux pacifistes, ni aux bellicistes. (Dans son journal, Kido affirme toutefois que Higashikuni, sans avoir pris parti, était très proche de l'état-major de l'Armée.)

3) À mon avis, toute l'attitude de l'empereur Shôwa dans cette affaire comme dans l'ensemble de la guerre, y compris la reddition, peut s'expliquer par ce que Peter Wetzler identifie dans Hirohito and War, comme la «motivation essentielle» de Hirohito : la préservation de la Kokutai et de l'institution impériale.

Hirohito se trouve en cela en communion d'esprit avec Kido. Il refuse le choix de Higashikuni pour ne pas exposer la famille en temps de guerre. Cette considération prédomine sur celle de savoir que Tôjô est favorable à la guerre. Lorsqu'il accepte l'invasion de la Chine et finalement celle des possessions occidentales, c'est dans l'intérêt de la Kokutai.

En 1941, Konoe lui, est viscéralement contre la guerre contre l'Occident et il démissionne justement parce qu'il se rend compte que Hirohito a d'autres considérations en vue. Après sa démission, il confie à son secrétaire «avoir perdu la confiance de l'empereur».

Au-delà des factions, Hirohito ne cherchait qu'à prendre tous les moyens pour préserver l'héritage sacré d'Amaterasu... Le 31 juillet 1945, alors que Tokyo était ravagée par les incendies, que l'empire était exsangue et que venait de tomber l'ultimatum de Potsdam, il n'a pas procédé à la reddition. Au lieu de se soucier du bien-être de son peuple, il a ordonné à Kido de protéger «à tout prix» les insignes impériaux : le miroir, l'épée et le joyau !

Nouveau messagePosté: 25 Juil 2007, 23:21
de Nicolas Bernard
OK, j'y vois un peu plus clair. Higashikuni était sans doute trop intelligent pour ne pas s'apercevoir que l'intronisation de ce traîneur de sabre qu'était Tojo signifiait la guerre.

Il est vrai que la démission de Konoye, et les hésitations de Tojo, ne peuvent se comprendre sans les dissensions qui ravagent la Marine elle-même. L'amiral Yamamoto, commandant la Flotte combinée, avait présenté le plan d'attaque de Pearl Harbor à ses collègues au mois de septembre, et malgré les résultats encourageants des Kriegspiele organisés à cet effet, n'avait pas réussi à convaincre la plupart des amiraux.

Le chef de l'escadre de porte-avions, l'amiral Nagumo lui-même, n'y croyait pas. Il estimait que le choix de la route du nord serait dangereux pour la Flotte, pour cause de mauvais temps. Mais le concepteur du plan d'attaque, le commandant Genda, fut en mesure de démontrer que ce chemin était le seul digne d'être emprunter : approcher l'archipel des Hawaii par le Sud vaudrait à l'agresseur d'être repéré. L'adjoint de Nagumo, Kusaka, martelait non sans justesse qu'il suffisait de concentrer tous les efforts de la Marine au Sud, contre les colonies britanniques et hollandaises, sans toucher à un cheveu des possessions américaines, car il supposait que les Etats-Unis ne bougeraient pas pour défendre le colonialisme - et à supposer que les Etats-Unis entrent en guerre, il était toujours possible d'attirer l'U.S. Pacific Fleet au plus près des lignes japonaises, et de l'y anéantir. Calcul intelligent, par ailleurs approuvé, après coup, par moult protagonistes et historiens américains (voir Gordon W. Prange, Donald Goldstein & Katherine Dillon, Pearl Harbor. The verdict of History, Penguin Books, 1986, p. 499-505), et sur le moment par l'amiral Nagano. Or l'appui de ce dernier, en sa qualité de chef de l'état-major naval et d'ancien ministre de la Marine, était essentiel à Yamamoto.

Mais ce dernier refusait de demeurer à la tête de la Flotte combinée si son plan contre Pearl Harbor, dont la date butoir venait d'être fixée au dimanche 7 décembre, était rejeté par le Haut-Commandement.

D'où de nombreuses polémiques, qui furent progressivement réglées en coulisses au cours du mois d'octobre, entre officiers. Ces polémiques, toutefois, ne passèrent pas inaperçues. Et elles étaient de taille, puisqu'il devait en ressortir le choix stratégique de déclarer la guerre aux Etats-Unis d'une part, et de risquer l'élite de la Marine impériale sur un coup de dés qui, selon Yamamoto, devait absolument être tenté pour sécuriser l'invasion de l'Asie du Sud-Est et mettre à genoux la puissance américaine d'autre part.

D'où les ultimes et, a priori, surprenantes réticences de Tojo. D'où le fait que l'Empereur lui ait imposé une nouvelle date limite pour l'achèvement des négociations, alors que sa nomination inquiéta suffisamment Washington pour qu'une dépêche fût expédiée à la U.S. Pacific Fleet le 16 octobre 1941 signalant l'aggravation de la situation dans le Pacifique, et la probabilité d'une guerre entre le Japon et l'U.R.S.S. Les Américains redoutaient également une intervention militaire nippone contre le trafic maritime américain. Finalement, rien ne se produisit ce mois-ci, ce qui contribua, plus que jamais, à émousser l'état d'alerte aussi bien à Hawaii qu'à la Maison Blanche. Comme Staline vis-à-vis de Hitler avant Barbarossa, les dirigeants américains traduisaient la réalité japonaise en termes de "faucons" et de "colombes" qui faisaient pression sur l'Empereur. Un raisonnement pas entièrement inexact, mais qui simplifiait gravement les subtilités nippones.

Ces violentes dissensions au sein de la Marine japonaise sont d'ailleurs une preuve supplémentaire à l'encontre des théories du complot qui font de Roosevelt une crapule belliciste désirant à tout prix conduire les Nippons à attaquer Pearl Harbor. Le choix de cette attaque ne fut au contraire entériné par la Marine que très tardivement, après de sévères discussions. Si même l'écrasante majorité des cercles dirigeants de l'Amirauté impériale jugeait l'opération inconcevable, que dire du chef d'Etat américain !

Nouveau messagePosté: 27 Juil 2007, 16:55
de romualdtaillon
Nicolas Bernard a écrit:OK, j'y vois un peu plus clair. Higashikuni était sans doute trop intelligent pour ne pas s'apercevoir que l'intronisation de ce traîneur de sabre qu'était Tojo signifiait la guerre.


Voici la réponse de Hirohito livrée le 15 octobre à Konoe, prise en note par son secrétaire et rapportée par Peter Wetzler : «Nous considérons le prince Higashikuni parfaitement adéquat comme chef d'état-major de l'Armée. Toutefois, nous croyons que la nomination d'un membre de la maison impériale à un poste politique doit être considérée avec beaucoup de précaution. Par dessus tout, en temps de paix, c'est adéquat mais lorsqu'il y a crainte d'une guerre, alors, considérant le bien-être de la maison impériale, Nous nous interrogeons sur la sagesse d'un membre de la famille impériale servant comme premier ministre.»

(Hirohito a livré la même version dans son haichôroku dicté en 1946)

Wetzler souligne que Konoe a par la suite curieusement rapporté à Higashikuni que «l'empereur approuvait sa proposition» (!!!). Cherchait-il à se convaincre lui-même, se donnait-il du temps pour reparler à Kido ? ou était-il sous l'effet de stupéfiants ?

Le jour de sa nomination, Tôjô se voit demandé par Hirohito de procéder à «une révision de la politique nationale adoptée en conférence impériale» et devant mener à la guerre contre l'Occident.

La clé de l'argumentation qui rallia finalement Hirohito et lui fit passer outre l'argument «des 2 ans» de Nobuhito, c'est la question de l'épuisement des ressources compte tenu de l'embargo qui, selon Tôjô, Nagano et Sugiyama, ne pouvait que conduire à la perte des gains en Chine. Ils utilisaient le même argument que Nobuhito et Koshirô Oikawa mais en renversaient la conclusion. Au lieu de s'attarder sur le fait que l'issue de la guerre de la Grande Asie orientale était incertaine, la stratégie adoptée était donc : frappons le plus vite possible pendant que nous le pouvons encore, quitte à négocier d'ici 2 ans.

Concernant la faisabilité de l'attaque de Pearl Harbor, Nagano expliqua dès le 3 novembre à Hirohito que l'attaque surprise «...est une opération extrêmement aventureuse. Son succès dépend au départ de la chance, qui peut varier grandement. Selon le nombre de navires présents, il sera possible de couler 2 ou 3 cuirassés et le même nombre de porte-avions.»