Équivalent oriental du procès de Nuremberg, le procès de Tokyo traîne une réputation de scandale et de malversation. Jugement arbitraire des vainqueurs et manifestation du racisme des blancs envers les jaunes pour les partisans de l'impérialisme japonais; magouille anti-communiste complotée en catimini entre les autorités américaines et japonaises pour les victimes des atrocités de l'ère Showa, ce procès fait aujourd'hui l'objet d'une opprobe quasi unanime.
Son origine juridique se trouve dans plusieurs textes internationaux. Dans les déclaration issues de la Conférence du Caire de 1943, par laquelle la Grande-Bretagne, la Chine et les E-U annoncèrent que "l'objectif de cette guerre est d'arrêter et de punir l'agression japonaise", de la Conférence de Postdam, par laquelle les 3 mêmes alliés déclarèrent que "la justice doit être imposée à tous les criminels de guerre, incluant ceux qui ont imposé des actes cruels à nos prisonniers", ainsi que dans la recommandation de la
Commission des crimes de la Société des nations qui confia le soin d'organiser un tribunal international à l'Australie, à la G-B, au Canada, à la Chine, à la France, à la Hollande, à la N-Z, à l'Union soviétique et aux E-U. Conséquemment, la Charte constitutive du Tribunal fut adoptée le 8 août 1945 et il fut décidé par les E-U, la G-B, l'Union soviétique et la Chine que le procès aurait lieu à Tokyo.
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L'ENQUÊTE
1.1) L'HOMME DE MAC ARTHUR
Le 11 septembre, en qualité de commandant suprême des forces alliées, Douglas Mac Arthur ordonna l'arrestation et l'emprisonnement des criminels de guerre présumés à la prison de Sugamo à Tokyo. Alarmé par cette décision, le premier ministre Higashikuni proposa à Hiro Hito que ce dernier dirige lui-même le procès des prévenus. Cette solution déplu beaucoup à l'empereur et fut finalement rejetée par le quartier-général allié. Le 27, Mac Arthur eut une rencontre privée avec Hiro Hito au cours de laquelle il lui fit comprendre que les E-U pourraient se montrer "compréhensifs" si l'empereur se montrait docile et accordait sa pleine et entière collaboration.
Dans le but de faire le lien entre son bureau et l'entourage impérial, Mac Arthur délégua le brigadier-général Bonner Fellers comme enquêteur spécial. Fellers était un non seulement un "familier" de Mac Arthur mais également un proche de l'ancien président Hoover. De septembre 45 à mars 46, Fellers rencontra, avec l'aide de deux interprètes, une quarantaine de hauts dirigeants détenus à Sugamo. Pendant cette période, il permis aux prévenus d'échanger leurs notes. En conséquence, ces derniers en vinrent finalement à soutenir à peu près tous la même version.
Le contenu de certains de ces échanges a été préservé en raison de la découverte des notes de l'interprète Shuichi Mizota. La stratégie de Mac Arthur fut clairement présentée aux japonais, comme en fait foi la transcription de deux extraits des notes de Mizota et rapportant les propos tenus par Fellers.
-6 mars 1946, lors d'une conversation avec l'amiral Yonai :
"
Pour contrer les soviétiques qui veulent punir l'empereur comme criminel de guerre, ça serait très pratique que le côté japonais puisse prouver que l'empereur était sans blâme. Je crois que les procès à venir offrent la meilleure opportunité de faire cela. Tojo, en particulier, devrait être amené à porter toute la responsabilité. En d'autres mots, je veux que faissiez dire à Tojo : "À la conférence impériale avant le début de la guerre (avec les E-U), j'avais déjà décidé de mener le pays à la guerre même si sa majesté était contre le fait d'aller en guerre contre les E-U.""
-22 mars 1946, lors d'une conversation avec Mizota :
"
L'avocat le plus influent de pensée anti-américaine est Cohen, un juif et un communiste, c'est l'aviseur principal du secrétaire d'état Byrnes. Comme je l'ai dit à Yonai, ce serait extrêmement désavantageux pour la position de Mac Arthur aux E-U de citer à comparaître le même empereur qui collabore avec lui et facilite une administration facile de l'occupation."
Si Yonai et Tojo, après sa tentative de suicide, collaborèrent spontanément avec Feller, il n'en fut pas ainsi de tous les suspects. L'ancien premier ministre Konoye, évincé du pouvoir par Hiro Hito en 1941 et à nouveau ministre sous Higashikuni eut le malheur de laisser entendre qu'il voulait voir l'empereur assumer la responsabilité de la guerre et de la défaite. Qualifié par Fellers de
"rat qui cherche à vendre tout le monde pour se sauver", il fut soumis à d'intenses pressions lui laissant croire qu'il serait considéré comme le criminel numéro 1 du gouvernement s'il n'offrait pas sa collaboration. Réalisant qu'il était isolé et considéré comme un traître par ses pairs, il finit pas se suicider en décembre 1945.
1.2) LE SORT DE LA FAMILLE IMPÉRIALE
Entretemps, en dépit d'une résolution unanime du congrès américain demandant le jugement de Hiro Hito comme criminel de guerre, l'équipe de Mac Arthur continuait son travail de persuasion auprès de Truman en insistant sur le fait que "la structure impériale était le meilleur rempart contre le communisme" et que "la démocratie ne fonctionnerait jamais au Japon". Ce travail de persuasion était primordial car Washington venait de transmettre à Mac Arthur une directive lui indiquant que
"la position du gouvernement des Etats-unis est que Hiro Hito n'est pas à l'épreuve d'une arrestation, d'un jugement et d'une condamnation comme criminel de guerre...quand l'occupation pourra fonctionner sans lui, la question de son jugement sera soulevée."
Le 25 janvier, Mac Arthur avait effrontément menti en écrivant au chef de cabinet de l'armée, Eisenhower : "
Aucune preuve spécifique et tangible n'a été découverte concernant des activités précises de l'empereur qui peuvent le lier à des décisions politiques de l'empire durant la dernière décennie." En février, le commandant suprême avait de plus amorcé la fameuse campagne de propagande par laquelle on vit Hiro Hito se promener au Japon pour rencontrer ses sujets ou encore poser en bon père de famille avec ses proches.
S'il semblait, qu'à court terme, l'empereur ne serait pas accusé, le doute subsistait toutefois quant au sort du reste de la famille impériale. Aussi, le second frère de l'empereur, le prince Takamatsu se mit-il en devoir de donner de somptueuses réceptions et parties de chasse auxquelles étaient conviés les procureurs américains. Hiro Hito augmenta même le budget des dépenses pour financer ces événements.
Certains membres de la famille, comme le prince Asaka, furent interrogés hors cour. Ce dernier déclara le 1 mai 1946 qu'il n'y avait eu à Nanking "aucun massacre de prisonniers" et "qu'il n'avait reçu aucune plainte quant à la conduite de ses troupes."
A ce stade, Hiro Hito avait encore des chances d'être convoqué comme témoin lors de l'audience. En conséquence, l'équipe de Mac Arthur envoya à l'empereur, par l'intermédiaire d'un officier du nom de Terasaki, marié à une américaine proche de Fellers, une série de questions pour lesquelles elle voulait des réponses qui seraient utilisées contre les accusés. Hiro Hito entreprit ainsi de rédiger une série de 5 "dictées" d'une durée de plus de 8 heures au total par lesquelles il justifiait son action, surtout en regard de la guerre avec les E-U. Lors de la seconde de ces séances, Terasaki informa l'empereur que Mac Arthur avait officiellement envoyé un télégramme à Washington l'exonérant de tout crime. Une fois terminées, ces dictées furent ensuite "corrigées" par Hoover et retransmises à Hiro Hito.
1.3) LE DÉPÔT DES ACCUSATIONS
De février à mars 1946, les 11 procureurs internationaux, supervisés par l'américain Joseph Keenan, entreprirent de colliger la preuve disponible. Ceux-ci avaient amorcé leur enquête en décembre 1945 mais n'avaient toutefois pu avoir accès aux documents et archives des ministères japonais que le 3 janvier 1946.
En mars, les procureurs remirent finalement leur liste respective pour les accusés de classe A. 30 noms apparaissaient sur la liste américaine et 11 sur la liste brittanique, ni l'une ni l'autre ne mentionnait l'empereur. La liste australienne en comportait quant à elle 100 et contenait un mémorandum détaillé sur les crimes de Hiro Hito, accusé entre autres de "crimes contre la paix" et de "crimes contre l'humanité". L'équipe soviétique demanda quant à elle à son arrivée au Japon, le 13 avril, que toute la famille impériale soit jugée et fusillée.
Les listes chinoises et phillippines avaient fait l'objet de négociations préalables avec les E-U. En échange d'une aide économique et millitaire apréciables, ces pays acceptèrent de ne pas s'opposer à l'absence de la famille impériale sur la liste finale. D'ailleurs pour le dirigeant chinois Chang, l'ordre impérial japonais représentait au fond un rempart contre le communisme, devenu son ennemi le plus pressant. Occupé à gérer 10 autres procès sur le territoire chinois, Chang considérait de plus celui de Tokyo comme relativement peu important. Non seulement son procureur ne s'objecta-t-il pas à l'absence de la famille impériale mais il n'insista même pas pour que le général Okamura, maître d'oeuvre du
sankô sakusen (opération tue tout, vole tout, brûle tout) soit accusé. Après tout Okamura avait surtout sévit dans des territoires contrôlés par les communistes. Le procureur chinois centra donc son attention sur le massacre de Nanking, dans lequel les troupes de Chang avaient péri.
Le comité finit par s'entendre sur les noms de 70 criminels de classe A appréhendés et toujours vivants. Il convint d'en accuser tout d'abord 28 et divisa les autres en deux groupes : 23 pour le groupe 2, et 19 pour le groupe 3. Le premier groupe était constitué de chefs millitaires et politiques alors que les second et troisième étaient composés d'industriels et d'hommes d'affaires ainsi que de politiciens de second plan.
Ayant refusé aux procureurs la possibilité de d'interroger l'empereur, Mac Arthur fit savoir aux procureurs américains qu'ils devaient éviter toute mention relative à l'implication de Hiro Hito et des membres de sa famille dans la conduite de la guerre. La décision fut de plus prise à Washington de cacher toute information relative aux unités de recherche bactériologiques ou à l'utlisation d'armes chimiques par l'armée japonaise.
Première rencontre entre le commandant suprême et l'empereur. Le premier a opté pour un style confiant et décontracté...
La suite dans la seconde partie :
L'AUDIENCEDernière édition par romualdtaillon le 03 Fév 2006, 18:36, édité 4 fois.