Le Petit caporal a écrit:N'étant pas (encore) militaire ou expert en la matière je ne comprend pas comment une succession ou un ensemble de succès tactiques peuvent ne pas mener à un succès stratégique aussi maigre soit-il. De la même manière qu'en sociologie l'ensemble des comportements individuels doivent mener à un comportement général.
Ma femme, qui en a fait, dit toujours "Se méfier des conclusions des sociologues !"
Au-delà de la blague, ta question consiste en fait à rappeler la différence entre stratégie et tactique.
Autrement dit, à rappeler la différence entre le "pourquoi ?" et le "comment ?".
Qu'au 1er septembre 1939 la supériorité tactique de la
Wehrmacht sur les autres belligérants est un fait connu et reconnu.
Il est l'héritage de deux qualités de l'armée prussienne des Temps modernes :
1. une discipline inébranlable dans la manoeuvre ;
2. l'
Aufgragstaktik, soit l'autonomie de commandement dans le cadre de la mission, ce que l'on qualifie aujourd'hui dans l'entreprise de "management par objectifs".
S'ajoute une capacité à la maîtrise des armes combinées : chars/infanterie/artillerie et autres unités d'appui (les
Kampfgruppen) d'une part et troupes au sol/appui aérien d'autre part.
Tout au long de la guerre, les adversaires de l'Allemagne n'auront de cesse de copier cette manière de faire (il me semble que l'
US Army en sera la plus proche à la fin ; l'Armée rouge excellera elle plutôt au niveau opératif [ça n'engage que moi]).
Deux cas concrets que j'aime bien :
1. Fall Gelb le 10 mai 1940 (stratégie offensive)
. La stratégie/le quoi : détruire les armées alliées en Belgique en les contournant par l'Ardenne ;
. La tactique/le comment : les
Kampfgruppen, les troupes aéroportées, l'appui aérien (tactique justement).
La manoeuvre, sublime, débouche malgré tout sur un faux pas stratégique : le rembarquement de la BEF à Dunkerque (tactiquement la BEF est détruite ; stratégiquement ses hommes, rééquipés et réarmés permettent à l'Angleterre de rester dans la guerre).
2. La troisième bataille de Kharkov (février/mars 1943) (stratégie défensive)
. quoi : laisser venir mourir l'offensive soviétique à l'extrémité de ses lignes de communication pour la tailler en pièces au détail ;
. comment : pareil
Le contre-exemple :
Barbarossa en 1941. quoi : c'est justement toute la question... absence de stratégie claire en désignant 3 objectifs : Leningrad au nord ; Moscou au centre et l'Ukraine au sud qui écartele et disperse les moyens au lieu de les concentrer (faute stratégique).
Et pourtant, pris séparément, chaque groupe d'armées va obtenir des succès tactiques retentissants :
. les pays baltes dans le nord ;
. Bialistok, Viazma, Briansk au centre ;
. Kiev et l'Ukraine au sud.
Ces écrasants succès tactiques sont la quintessence du Blitzkrieg mais ne mènent pas à la victoire stratégique dès lors que celle-ci n'est pas définie (fallait-il se concentrer sur Moscou ? Fallait-il attaquer en Ukraine ? Que fallait-il faire ? Ces questions font toujours débat aujourd'hui).
Excellant dans la tactique, je crois que la
Wehrmacht et HITLER se sont perdus dans la recherche du mythe de la "bataille décisive" qui permet de "tout rafler".
Héritage, je pense, de la pensée Clauswitzienne issue de l'analyse des victoires décisives de Napoléon (Austerlitz, Iena, Auerstadt) ... en oublient qu'elles n'avaient jamais permis à Napoléon de défaire définitivement ses adversaires...
Après 1941, le parcours allemand est émaillé d'espoirs en des "victoires décisives" finalement perdues : Stalingrad, Koursk, la Normandie, l'Ardenne.
Héritiers d'un art de la guerre de l'époque des Temps modernes (les guerres des princes), le commandement allemand n'avait pas pris la mesure de la guerre totale inaugurée par les Américains de l'Union en 1861-65 puis menée en Europe en 1914-18 et 1940-45.
Les nazis n'avaient pas compris qu'au XXe siècle, gagner successivement des batailles (exceller dans la tactique) ne sert plus à rien contre des colosses démographiques et industriels (URSS et Etats-Unis) qui alimentent constamment les batailles en hommes et en matériel jusqu'à épuisement du parti le plus faible démographiquement et industriellement, en l'occurrence le III Reich.
EDIT : Loïc a un meilleur sens de la formule que moi