Post Numéro: 7 de Nicolas Bernard 08 Sep 2007, 16:03
La mise à l'écart de l'unité de Kaminski résulte, comme l'a signalé Daniel Laurent, d'arrière-pensées politiques. Car tout, ici, respire le coup monté. Hitler avait expédié cette brigade à Varsovie pour y déchaîner la terreur, ôter tout esprit de résistance aux Polonais d'une part, et insister sur la monstruosité de Staline d'autre part, qui abandonnait d'innocents civils aux mains de pareils bouchers. Par la suite, il lui suffisait de retirer cette formation en prétextant sa conduite déshonorante pour mieux accréditer la thèse d'un dérapage, d'une "bavure", et ainsi préserver l'image de l'armée allemande. Le "cosmopolite" Kaminski, à cet égard, était plus facilement sacrifiable que l'Allemand Dirlewanger, qui commettait autant d'atrocités mais sera récompensé par la Croix de Chevalier pour ses faits d'armes dans la capitale polonaise.
D'une certaine manière, Hitler a tenu à faire de Varsovie un exemple, un véritable spectacle qui témoignerait moins de l'inutilité de toute résistance à la Wehrmacht que de la criminalité soviétique. Plus fort il frappe le coeur de la Pologne, et plus l'abstention de Staline, dont les troupes campent pourtant l'arme au pied à proximité de la ville, y apparaîtra comme ignoble. Utile manière de scinder la Grande Alliance, ce d'autant que Hitler n'ignore nullement la place qu'occupe la Pologne dans ce fragile édifice. Avec Varsovie, le dictateur nazi compte tout simplement exploiter l'avantage acquis par la surexploitation morbide du massacre de Katyn l'année précédente. Oui mais, diront les âmes sensibles de Washington et de Londres, les Allemands agissent aussi monstrueusement en exterminant les Polonais ! A quoi il sera facile de répondre qu'il s'agit là d'excès commis par des brigands incontrôlables, d'autant plus scélérats qu'ils étaient d'origine soviétique, et que Berlin était si conscient de leur cruauté qu'il les retirera du front. Les Soviétiques, dans ce contexte, apparaissent doublement mauvais : ils sont à la fois bourreaux (les supplétifs S.S.) et complices (le Kremlin).
La preuve de ce que j'avance consiste dans le discours que le responsable S.S. de la répression, Erich Von Dem Bach-Zelewski, tiendra aux insurgés polonais venus signer la reddition le 2 octobre 1944. Pour mieux embobiner les Polonais, et donc faire un pas vers les Occidentaux, ce hiérarque a reçu pour instructions de s'accommoder avec l'A.K., traitée non en bande de partisans, mais en soldats bénéficiant de la Convention de Genève. La capitulation ainsi est conclue au cours d'une cérémonie rappelant les guerres en dentelle, dans une atmosphère que les Allemands veulent cordiale. Bach-Zelewski lui-même annonce aux émissaires polonais qu'il ne ressent rien d'inamical envers la Pologne, que sa mère est d'ailleurs d'origine polonaise, qu'il condamne les exactions commises mais dont il était étranger, et qu'il a d'ailleurs tout fait pour les combattre, en retirant par exemple la brigade Kaminski. N'a-t-il pas, le jour même de son arrivée dans le secteur (5 août 1944) strictement interdit tout meurtre de civil et tout pillage ? Et l'officier supérieur allemand chargé d'approcher les Polonais pour leur proposer de se rendre n'était autre que le Generalmajor Günter Rohr, dont l'opposition à Kaminski était notoire.
Le retrait de Kaminski était d'autant plus justifié politiquement qu'il était peu nuisible militairement, en cette fin août. Ses hommes avaient brillé par leurs crimes, non leur valeur au feu. Mais alors pourquoi Hitler et Himmler ne se sont-ils pas limité à cette décision ? Pourquoi a-t-il fallu supprimer Kaminski ?
A ce jour, nul ne sait dans quelles circonstances exactes est mort Kaminski. Ce qui est certain est qu'il a été liquidé par les Allemands, soit par un peloton d'exécution après une parodie de procès, soit par le S.D. après une tentative de fuite, les S.S. maquillant ce meurtre en coup de main de la Résistance polonaise, ce que reprendra à son compte la Propagande allemande. La condamnation à mort de Kaminski ne résulte certainement pas d'une volonté allemande de faire justice pour les pauvres Polonais, ni même d'un désir de punir ses hommes pour le viol de deux jeunes femmes allemandes à Varsovie. Encore moins s'est-il agi de laisser la place à un autre collaborateur, le général Vlassov : ce n'est qu'en novembre 1944 que ce dernier sera mis en avant par Himmler, lequel pouvait très bien lui subordonner Kaminski, seul à même de donner un semblant de discipline à sa brigade.
Il s'agissait tout simplement de préparer l'avenir, d'accréditer la version allemande de la croisade anticommuniste, même si la version officielle retiendra l'attentat partisan, ce qui n'empêchera nullement les rumeurs de proliférer. Surtout, les nazis supprimaient là un témoin gênant qui aurait été en mesure de confirmer que les atrocités commises par sa formation avaient été bel et bien préméditées par le Führer.
Le sort de Kaminski et le retrait de son unité témoignent d'ailleurs d'une belle hypocrisie nazie. Car dans le même temps, Dirlewanger, quoique contesté par certains généraux allemands, de Rohr à Guderian, ne sera pas inquiété, et sa brigade continuera de servir à Varsovie. Tout simplement, le Slave Kaminski, né en Russie d'un père polonais et d'une mère allemande expatriée, était un bouc-émissaire bien plus acceptable que l'Allemand Dirlewanger, protégé par ses amis de la S.S., et notamment Gottlob Berger. Les Osttruppen, aussi bien en France qu'à l'Est, avaient reçu carte blanche pour agir comme bon leur semblait : les atrocités commises pourraient leur être imputées, et les Allemands conserveraient leur réputation d'êtres civilisés.
« Choisir la victime, préparer soigneusement le coup, assouvir une vengeance implacable, puis aller dormir… Il n'y a rien de plus doux au monde » (Staline).