Concurremment au fil sur
le télégramme Lequio
viewtopic.php?f=17&t=28461&start=0 il est temps à présent
de rouvrir
le débat sur
le vol de Hess et plus précisément sur la question : acte isolé ou mission hitlérienne ?
Une question étroitement corrélée à l'état d'esprit dans lequel la direction nazie préparait l'opération Barbarossa.
Contrairement à ce qui a été dit par certains, la date du 10 mai (
vol de Hess) est en effet très pertinente par rapport à celle du 22 juin (attaque contre l'URSS) : c'est exactement (et chez Hitler, fétichiste des dates, cela compte)
le laps
de temps qu'il a fallu un an plus tôt pour contraindre à un armistice la fière armée française. Pour décider l'Angleterre à la paix, il n'y a pas besoin
de longues négociations, puisque l'Allemagne n'a rien à demander sinon la paix elle-même et qu'elle l'a lourdement laissé entendre à
de nombreuses reprises. Mais pour lancer Barbarossa en toute quiétude, il serait excellent d'amorcer en ce 10 mai
le processus
de paix à l'ouest.
L'idée prévaut chez les tenants
de "
Hess solitaire", dont Ian kershaw, que Hitler ne voulait pas la paix avec l'Angleterre, du moins pas à ce moment-là et qu'un succès
de la mission
de Hess l'aurait plutôt gêné dans ses préparatifs. Il apparaît au contraire qu'il a espéré très fort venir à bout
de Churchill et
de la guerre au mois
de mai, et que la guerre sur deux fronts, vigoureusement répudiée dans
Mein Kampf, restait pour lui une perspective cauchemardesque. J'ai ajouté dans
le fil sur Lequio un élément inaperçu,
le passage du journal
de Goebbels racontant que lors
de sa visite du 18 août il l'avait trouvé malade et affaibli par... la dysentrie, un mal nommément attribué aux soucis qui l'avaient accablé depuis
le 22 juin :
viewtopic.php?f=17&t=28461&p=353857. Hitler était tellement rassuré
de combattre sur deux fronts qu'il en faisait dans son froc...
J'ai aussi émis l'hypothèse, à laquelle je crois
de plus en plus, que, par
le déclenchement même
de Barbarossa malgré la non-chute
de Churchill, il a encore un espoir
de la provoquer, et que cela expliquerait bien que, l'événement ne survenant pas et Churchill, par son magnifique discours du 22 juin au soir, coupant l'herbe sous
le pied des conservateurs du monde entier qui auraient été tentés, par antisoviétisme,
de voir Barbarossa d'un bon oeil, Hitler ne maîtrise plus ses entrailles...
C'est bien à ce moment-là qu'il perd toute maîtrise
de la situation, qu'il commence à voir la défaite et sa mort en face.
Si donc on m'accorde qu'il voulait cette paix et a tout fait pour la décrocher en mai, c'est une raison très forte en faveur d'une complicité étroite avec
Hess dans son entreprise, toutes ses colères n'étant que mise en scène, fort logique au demeurant : si l'affaire échoue, il faut à tout prix éviter qu'il semble y avoir été mêlé puisque dans
le cas contraire il apparaîtrait, dès
le 22 juin, qu'il craignait la guerre sur deux fronts comme la peste au point
de risquer son bras droit dans une fournaise pour l'obtenir, et cela boosterait
le moral
de l'ennemi, russe et anglais tout autant.
Revenons-en donc au télégramme Lequio ou plutôt à la conversation où, quelques jours avant
le 14 mars,
le peu churchillien Samuel Hoare informe
le très hitlérien prince Hohenlohe qu'il est prêt à renverser Churchill et à virer Eden.
Du statut peu enviable
de document unique,
le télégramme Lequio est passé depuis mon séjour londonien
de Toussaint à celui
de fleur la plus éclatante d'un bouquet assez fourni.
Le faux traître Wurmann, en effet, qui capte la confiance des services secrets anglais avec un discours
de prisonnier
de guerre antinazi en janvier 1943, n'a rien
de plus pressé que
de révéler que Hohenlohe lui a raconté cette conversation, alors qu'il était lui-même
le représentant
de Canaris à Biarritz. Il ajoute un élément, pour l'affaire
Hess, capital : Hoare avait dit à Hohenlohe
de ne pas s'éloigner
de l'Espagne, et qu'il
le rappellerait sans doute en mai.
Je rappelle
le devenir
de la confidence
de Wurmann à Londres :
le patron du contre-espionnage, Guy Liddell, profite
de la présence du très churchillien Duff Cooper pour lui passer
le bébé en lui disant d'aller en parler à Churchill... et à personne d'autre pas même Morton, pourtant proche confident
de Churchill s'il en fut ! Et Churchill rassure Cooper en disant qu'il n'y a pas
de quoi fouetter un chat. Tout cela conforte l'idée que Hoare n'a pu monter cette affaire tout seul, ni même en avoir l'idée, et que c'est Churchill en personne, sans doute avec
le concours des seuls Eden et Hillgarth, qui a décidé d'intoxiquer Hitler sur sa propre fragilité. Là encore il n'y a rien que
de logique : tant que Hitler ne s'est pas fâché avec Staline, il peut faire d'énormes dégâts sur la route britannique des Indes (Gibraltar, Malte, Suez, Chypre, Bagdad...) et il convient
de l'en dissuader en laissant entendre qu'il a plein
de potes à Londres, sur
le point
de l'emporter, et que ce serait trop bête
de les ramener sous la houlette
de Winston par une politique trop agressive.
Le comportement
de Wurmann s'explique, me semble-t-il,
de la manière suivante : il a été missionné par
le SD (au su
de Hitler évidemment) pour cafter dans les oreilles britanniques que Hoare s'est vanté deux ans plus tôt
de pouvoir faire tomber Churchill. L'intérêt ? Puisque tout montre qu'une collusion Hoare-Churchill pour chambrer Hohenlohe en 1941 n'est toujours pas soupçonnée par Hitler, ce dernier suppose que l'ambassadeur ex-appeaser a été proche
de la réussite mais ne l'a pas atteinte, Churchill convainquant son monde
de le garder en attendant
le résultat
de Barbarossa (c'est ce que dit Wurmann). Or justement on y est : après Stalingrad, les Russes ont
le champ libre pour déferler jusqu'à Calais : est-ce bien ce que souhaite Londres ? C'est en tout cas ce que souhaite Churchill avec sa conférence
de Casablanca, sa "fin du commencement", son antinazisme plus saignant que jamais. Mais Hoare ? N'y a-t-il pas là une nouvelle occasion
de jouer sur son antisoviétisme ? Pour cela il est bon
de révéler qu'en 1941 il a conspiré contre Churchill, ou du moins cela ne peut pas faire
de mal.
Alors certes, tout cela ne prouve, à strictement parler, rien sur
le vol de Hess. Mais un faisceau ne se resserre-t-il pas ?
Hess est l'un des plus proches complices
de Hitler pour les affaires anglaises, depuis
le début, ils forment avec les Haushofer un quatuor
de larrons en foire, ils ont écrit ensemble au duc
de Hamilton en septembre... et déjà à l'époque
Hess s'entraînait ferme au pilotage, soi-disant malgré une interdiction
de Hitler... Il y a toutes chances pour que Hitler médite avec
Hess sur l'information "Lequio". La période où ils auraient pu entrer en désaccord sur
le dossier britannique se réduit comme peau
de chagrin et aucun motif n'apparaît.
A vous maintenant, les amis ! (et surtout les ennemis, s'il en reste !
)