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Harlequin et Colombine : des SS dans la bergerie britannique

Cette rubrique renferme tout ce qui concerne le front ouest du conflit, y compris la bataille des Ardennes ainsi que les sujets communs à tous les fronts tels, les enfants et les femmes dans la guerre, les services secrets, espionnage...
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Harlequin et Colombine : des SS dans la bergerie britannique

Nouveau message Post Numéro: 1  Nouveau message de François Delpla  Nouveau message 01 Nov 2011, 09:32

Je constate, en cherchant où caser ce fil, l'absence d'une rubrique : "Généralités sur la Seconde Guerre mondiale".

Je viens de faire une découverte qui me semble capitale, en deux séjours aux archives anglaises (février et octobre 2011) sur fond de débats et de réflexions sur l'état de la guerre en 1941, particulièrement dans les mois précédant Barbarossa.

Pour 1941, après un fil sur Hess actuellement verrouillé viewtopic.php?f=17&t=27497, le propos s'est concentré sur la conversation Hoare-Hohenlohe de Madrid, le 6 mars, connue par un télégramme de l'ambassadeur italien Lequio viewtopic.php?f=17&t=28461&start=0 .

A présent deux années ont passé, marquées essentiellement par deux campagnes allemandes en Russie, redoutablement destructrices mais finalement désastreuses car non décisives. A présent (mai 1943) Hitler, qui veut jouer la partie jusqu'au bout quoi qu'il arrive, met plus que jamais son espoir dans la rupture de la coalition adverse.

Deux officiers SS de haut vol, se disant dégoûtés du nazisme, offrent leur collaboration aux Britanniques. L'un, Wurzmann, est capturé en Afrique du Nord, où il faisait partie d'une commission allemande d'armistice. L'autre, Hans Zech-Nenntwich, se livre de lui-même, par la Suède. Ce royaume lui accorde l'asile politique mais il demande à être reçu en Angleterre, quitte à y être interné, pour combattre au mieux Hitler.

Voici un premier document viewtopic.php?f=17&t=28461&start=70 qui montre comment les services secrets britanniques, par leur représentant en Suède, commencent à mordre à l'hameçon.

Au fait, comment être sûr qu'il s'agit bien d'un hameçon ? Ce document lui-même en offre deux indices. Le premier, dont nous avons commencé à débattre, est que Z-N attribue le crime de Katyn (l'assassinat par le NKVD de milliers d'officiers polonais en avril 1940, révélé trois ans plus tard par la propagande de Goebbels) à "la Gestapo". C'est, de la part d'un Allemand quel qu'il soit, très étonnant et de la part d'un SS assez inconcevable. On n'a guère entendu parler d'une autre archive disant une telle chose, surtout avec autant d'assurance. En revanche, si on se met dans la peau d'un agent envoyé offrir ses services à l'ennemi, la manoeuvre a une utilité très claire : celle de démontrer sa rupture avec le régime nazi en prenant avec ses deux principaux dirigeants après Hitler, à savoir Himmler et Goebbels, des distances radicales.

L'autre indice est que la dernière trace de l'activité de Z-N d'après les papiers qu'il porte est une nomination à Varsovie en février 1943. Puisqu'il arrive en Suède le 10 mai, cela laisse un trimestre pour le former en tant qu'agent, lui faire apprendre sur le bout des doigts ce qu'il devra dire etc.

Un autre indice que les dés sont pipés est fourni par la carrière d'après guerre de Z-N. Il est comme vidé. Après l'avoir longuement interrogé sur tous les aspects du régime, les Anglais l'ont employé à la radio pour des émissions en allemand puis, quelques semaines avant la fin de la guerre, se sont gravement interrogés sur son emploi futur. Ils ont finalement décidé de l'envoyer en Allemagne, dans leur zone d'occupation, chargé de besognes de police. Mais soudain en 1947 il est repéré par des journalistes, en quête de nazis de haut vol réemployés en Allemagne; on voit alors les services secrets britanniques le défendre quelques semaines, en le disant victime d'une "vendetta", puis le lâcher définitivement, sous un prétexte de "faux en écriture" dans son dossier de réinsertion. Il finira par être rattrapé par son passé de bourreau de Juifs en Pologne (dont il s'était soigneusement caché lors de ses interrogatoires londoniens), et condamné comme tel en RFA au début des années 60. Cela jure avec le comportement d'un nazi repentant (d'ailleurs il ne se dit même pas nazi mais "conservateur"... égaré sans doute dans la SS, et jusqu'au secrétariat de Himmler pendant trois mois, pour des raisons purement techniques...)

Je rapporte de nombreux documents sur lui. Beaucoup moins en revanche sur Wurmann. Ce qui rapproche les deux, outre la publicité qu'ils font à Hohenlohe, c'est que ce sont les Anglais qui, se croyant sans doute très malins, les surnomment Arlequin et Colombine !

Je présume moi-même que les deux agents sont envoyés en même temps par Himmler et Schellenberg (chef de la section extérieure du RSHA, dite Amt VI) avec des missions liées et complémentaires; en revanche, pour Colombine on est au-delà de la présomption. C'est bel et bien un loup envoyé dans la bergerie, et ses interrogatoires dessinent une manoeuvre claire : il s'agit de faire croire aux Alliés occidentaux que tout l'appareil politico-militaire allemand est traversé par des mouvements de révolte, tendant à isoler quelques moutons noirs nazis, violents et irrécupérables voire... communisants, alors que la grande masse des cadres est prête à se jeter dans les bras anglo-saxons pour lutter ensemble contre la marée rouge qui menace l'Europe.

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Re: Harlequin et Colombine : des SS dans la bergerie britann

Nouveau message Post Numéro: 2  Nouveau message de François Delpla  Nouveau message 01 Nov 2011, 16:34

Il est assez longuement question de Zech-Nenntnich dans le livre de Sefton Delmer Black Boomerang, 1962, tr. fr. Opération Radio-Noire, Stock 1962, repris dans "J'ai lu leur aventure" n°A96/97, 1965. Le récit est p. 196-204 de l'édition Stock.

Drôle de pistolet, ce Delmer. Né à Berlin en 1904 d'un père australien que la guerre de 1914 va faire interner, élevé au Royaume-Uni à partir de 1917, il est parfaitement bilingue et joue un rôle à éclaircir dans les débuts de l'appeasement en tant que correspondant à Berlin du Daily Express dans lequel il va faire toute sa carrière de journaliste, interrompue par un engagement dans le PWE pour faire des émissions "noires" en allemand pendant la guerre. Il témoignera jusqu'au bout que les dirigeants nazis avaient l'air parfaitement surpris par l'incendie du Reichstag et finira par se rallier à la théorie de "van der Lubbe, acteur unique". Son antinazisme me rappelle, toutes proportions gardées, ceux d'Otto Strasser ou d'Ernst Hanfstaengl, il s'y glisse comme une touche de dépit amoureux. Bref, ce n'est pas le sujet du jour. Sinon qu'il en va de même avec Colombine.

Il faut commencer par la fin : c'est le Daily Express qui commence en 1947 une campagne contre Z-N et d'autres SS recasés en Allemagne pas encore fédérale. Voilà qui amène le MI 6 à reconsidérer son cas et à le lâcher au bout de quelques semaines (je préciserai les dates).

Dans son livre, Delmer prétend que Z-N n'a jamais mis les pieds au studio, qui portait le nom de code MB. On l'aurait confiné dans une villa, "Paris House", où on serait venu enregistrer ses émissions. Par ailleurs il est très vague sur la chronologie, sauf qu'il situe toute la collaboration de Z-N (qu'il n'appelle jamais Colombine mazis soit Z-N soit, plus souvent, Nansen, l'un de ses alias) dans les "dix derniers mois de la guerre", ce qui est une façon de postdater d'une bonne année (de mai 43 à juillet 44) la désertion de Z-N. Il dissimule ainsi la période où Colombine était avidement cuisiné par de hauts responsables et ses confidences utilisées pour monter de savants organigrammes d'une résistance allemande présente jusque dans l'entourage de Hitler.

Ce qu'on peut lire entre les lignes, c'est que Delmer, meilleur germaniste et plus fin connaisseur du nazisme que la moyenne des officiers de renseignement anglais, a compris plus vite que Z-N était une planche pourrie ou, si l'on préfère, le mouton noir de la propagande noire, tous les autres état d'authentiques Allemands antinazis : "Il est le seul de son genre parmi les Allemands qui ont travaillé avec moi". Quel genre, au juste ? Celui des "opportunistes". Il prétend et c'est sans doute vrai que Z-N a obtenu en 1950 une entrevue de deux heures avec Adenauer; il ajoute, mais que peut-il en savoir ?, qu'il en a profité pour trahir auprès de lui les Allemands, notamment socialistes, qui avaient bossé avec Londres pendant la guerre. Bref, il présente Z-N comme une girouette courtisant tous les puissants de l'heure. Il ne pose pas une seconde dans son livre la question de savoir s'il était envoyé dans les lignes ennemies par le gouvernement nazi.

Se l'est-il posée à lui-même, ou était-elle trop tabou ?

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Re: Harlequin et Colombine : des SS dans la bergerie britann

Nouveau message Post Numéro: 3  Nouveau message de François Delpla  Nouveau message 01 Nov 2011, 19:51

Voici maintenant la traduction d'un document du 1er août 1944, toujours dans le carton KV 2/397. Il est signé du capitaine SH Noakes, l'officier en charge de Colombine. Il résume les rapports avec les services polonais qui, depuis un an, avertissent en vain les Anglais qu'ils soupçonnent for Zech-Nenntwich d'être un agent allemand, un cadre important du SD qui a fait arrêter plusieurs officiers de l'Armée de l'Intérieur.

COLOMBINE


Mr Auty, du MI 6, est venu parler de ce cas. Dunderdale, qui est en relation avec les Polonais, a rapporté qu'ils voulaient à présent rencontrer Colombine. J'ai fait remarquer à Auty que pas plus tard que le 1er octobre 1943 j'ai écrit à Park, du SOE, en lui proposant une copie du rapport U.35 qu'il pourrait faire lire à un officier polonais, préalablement agréé par nous, qui pourrait ensuite interroger Colombine en présence d'un tiers. Cependant, il n'a pas été donné suite à cette offre et nous avons reçu en tout et pour tout de brèves communications, qui prétendaient jeter la suspicion la plus grave sur Colombine sans apporter la moindre preuve. En particulier, il avait été question de dire qu'il ne faisait qu'un avec un autre homme mais j'ai en vain demandé une photo avant d'aller plus loin. Auty dit maintenant que les Polonais ont renoncé à cette thèse. Après discussion j'ai dit que je serais d'accord pour renouveler l'offre précédente, mais qu'il devrait être bien entendu qu'à ce stade les Polonais devraient aborder cet interrogatoire d'une manière raisonnable. S'ils apportaient quelque élément de nature à induire de sérieux doutes sur Colombine, la question devrait, bien entendu, être reprise dans son ensemble.


Il est clair que Noakes fait l'autruche, ainsi que l'ensemble des services britanniques. Himmler a tellement bien réussi son coup et a envoyé un informateur tellement habile et bien formé, qu'il est devenu trop précieux pour qu'on le soupçonne : une véritable addiction !

C'est d'autant plus étrange qu'on ne ferme pas tout à fait la porte au doute.

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Re: Harlequin et Colombine : des SS dans la bergerie britann

Nouveau message Post Numéro: 4  Nouveau message de pierma  Nouveau message 01 Nov 2011, 20:05

Et quel a été le gain pour les Allemands ?

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Re: Harlequin et Colombine : des SS dans la bergerie britann

Nouveau message Post Numéro: 5  Nouveau message de François Delpla  Nouveau message 01 Nov 2011, 20:27

pierma a écrit:Et quel a été le gain pour les Allemands ?


question à la fois complexe (il faudra dépouiller bien des cartons pour une réponse précise) et simple : l'ennemi a raté son coup, en raison principalement de la présence de Churchill à la barre, et de l'Angleterre, et, au moins sur ce chapitre, de l'alliance.

Chercher à raccourcir la guerre, et à limiter les gains soviétiques, par une entente avec des Allemands dégoûtés du nazisme, c'est à quoi beaucoup songent des deux côtés de l'Atlantique, et sans doute Churchill aussi à ses heures. Mais lui tient à être sûr que Hitler n'est pas derrière, et que son régime sera bel et bien éradiqué. Encore une fois, il est très frappant de voir, rien qu'à l'inventaire de ses papiers, qu'il a été infiniment moins fan de Colombine que ses subordonnés.

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