Chef Chaudart a écrit:Une précision pour la compréhension générale: l'encerclement des forces alliées aventurées en Belgique est expressément prévu dans le plan d'attaque général "Fall Gelb". L'endroit n'est pas fixé :
"...La 2eme armée avait l'ordre de suivre d'abord l'offensive en restant à l'arrière, échelonnée en profondeur, puis de reprendre la section du front qui se libérerait après que les 4ème et 12eme armée auraient bifurqué en direction des côtes de la Manche..."
Ordre de marche (Aufmarschanweisung) n°4 "Fall Gelb" du 24 février, Frieser, "Le mythe de la guerre éclair", p.85
Oui, mais ce n'est là qu'une vague direction. Le document révèle que le Groupe d'Armées B "s'efforcera de pousser le plus rapidement possible en direction de l'embouchure de la Somme avec le maximum de moyens en prenant à revers la zone fortifiée du nord de la France. Il lancera devant son front d'importante forces rapides échelonnées en profondeur contre la coupure Dinant-Sedan pour créer des conditions favorables pour la poursuite de l'offensive vers l'ouest." (cité dans Koeltz, Comment s'est joué notre destin, op. cit., p. 183). Vers l'ouest, vers l'embouchure de la Somme.
Il est évidemment question de prendre à revers les Alliés engagés en Belgique, mais de tels objectifs géographiques n'interdisent nullement d'autres opérations simultanées, telles que démanteler l'armée française de part et d'autre de la Somme. Ils ne prévoient ni n'excluent le "coup de faux". Ce qui accorde à l'autorité décisionnaire une réelle marge de manoeuvre pour imposer ses vues. Et si Halder tentera d'en profiter, Hitler, lui, saura exploiter l'occasion pour imposer son "coup de faux".
Pour le reste, je ne suis toujours pas convaincu, désolé. Je pense que les choses peuvent s'expliquer d'une manière diffrente.
Or donc, Hitler fait communiquer aux Français et aux Britanniques l'information selon laquelle il est prêt à conclure une paix généreuse. Le 20 mai, il mentionne à Jodl qu'il se contentera de réclamer aux Britanniques le retour des colonies allemandes et, cinq jours plus tard, Himmler s'inspire manifestement de ces conditions de paix pour proposer à Hitler de déporter les Juifs en Afrique ou ailleurs dans une colonie. Mieux encore, le 24 mai, le dictateur fait part de son admiration de l'empire britannique à Von Rundstedt, qu'il sait gagné à ses vues sur le plan diplomatique (cf. le témoignage de Blumentritt, son chef des opérations).
Le tout sur fond d'offensive militaire spectaculaire, et qu'il paramètre entièrement. Car Hitler a imposé la percée de Sedan (il en a eu l'intuition et Von Manstein l'a crédibilisée), de même qu'en cours d'exécution le "coup de faux", ce qui revenait à circonscrire la guerre au nord de la France. Et le 24 mai, alors que militairement tout va bien, que ses généraux ne se posent même pas la question d'interrompre l'avance (à l'exception de Von Rundstedt, qui souhaite accorder à ses blindés une pause de 24 heures, ce que lesdits blindés refusent si bien qu'ils vont encore de l'avant le 24), il interdit à toute unité allemande, qu'elle soit en chenilles ou à pied, de franchir la ligne des canaux, ce pour une période indéfinie. Il ne s'agit pas simplement de ménager les blindés (les tankistes ne le demandaient absolument pas): il est question de stopper l'avance sur une ligne définie, qu'il est rigoureusement interdit de franchir.
Au regard de l'absurdité militaire d'un tel ordre, tant sur le moment que rétrospectivement, et au vu du contexte diplomatique précité, je ne vois pas comment les choses peuvent s'expliquer d'une manière différente qu'un ordre d'arrêt formulé pour des motifs politiques: éviter aux Alliés de connaître un plus grand désastre encore, et donc les pousser à négocier une paix "généreuse". Quitte à resserrer l'étau avec la Luftwaffe et, à partir du 26 mai, relancer l'offensive... en la bornant à une portée de canon de Dunkerque.
Je persiste, sans passion: il s'agit de la seule explication qui marie l'ensemble des éléments du dossier, des aspects militaires aux données diplomatiques... et idéologiques (la "question juive"). Prétendre le contraire revient à traiter ce qui précède comme une suite invraisemblable de coïncidences, et à faire de Hitler un crétin fini souffrant de dédoublement, voire de détriplement de personnalité.