Pour les petits nouveaux qui débarquent, je veux bien ici rappeler le document clé qui avait permis à John Costello de révolutionner le débat
http://delpla.org/article.php3?id_article=377 :
Offres éventuelles de paix de l’Allemagne
M. Nordling, Consul Général de Suède à Paris, qui avait accompagné M. Coulondre et le général Mittelhauser lors de la mission accomplie en Scandinavie du 12 au 14 avril, est revenu 15 jours plus tard à Paris en traversant l’Allemagne. Il s’est joint à une mission suédoise qui comprenait M. Dahlerus, industriel connu pour ses relations avec le Maréchal Göring, le Directeur des Affaires Économiques au Ministère des Affaires étrangères suédois et le chef d’État-Major des forces navales suédoises.
Cette mission a proposé au gouvernement du Reich un projet consistant essentiellement à assurer par des forces navales suédoises la police des eaux norvégiennes et la répartition équitable du minerai de fer entre l’Allemagne et les Alliés. Ce projet a été repoussé par les Allemands.
Le Maréchal Göring a cependant tenu à voir M. Dahlerus qui, à plusieurs reprises, s’était fait l’intermédiaire d’offres de paix allemandes. Le Lieutenant du Führer a exprimé l’avis que toute paix était impossible dans les conditions qui régnaient alors. Il a ajouté cependant que si la guerre était portée en Belgique et si l’armée allemande parvenait à s’emparer de la côte belge et de Calais, le Führer ferait une proposition de paix. Il demanderait l’annexion d’Eupen, de Malmédy, du bassin de Briey, ainsi que l’attribution de colonies au Reich. Pour le reste, il se contenterait, dans l’ensemble, du maintien du statu quo avant les hostilités.
Si la France repoussait ces propositions, la guerre serait étendue aux populations civiles et le peuple français « apprendrait ce qu’il en coûte d’être mal dirigé ».
Les indications ci-dessus, dont la source est absolument sûre, prennent une importance particulière à la lumière des événements qui se sont déroulés depuis lors.
Il est permis de se demander en particulier si le Duce n’attend pas le moment où M. Hitler, s’estimant vainqueur, formulerait des conditions de paix, pour entrer lui-même en scène.
Cette pièce figure dans un petit dossier "Paul Reynaud" aux archives du quai d'Orsay, alors que le gros des archives de l'ancien président du conseil est vierge de toute allusion à Nordling, à Dahlerus ou à des offres quelconques de paix pendant son ministère. C'est ce qu'on appelle un document miraculeusement échappé à une razzia destructrice.
En Angleterre, de même, la correspondance diplomatique avec la Suède a été passée au peigne fin et le nom de Dahlerus systématiquement gommé.
On sait cependant que le cabinet de guerre discute à trois reprises (les 19, 21 et 23 mai) d'un "plan Dahlerus" de neutralisation du nord de la Norvège, évoqué, tout comme les conditions de paix, dans le bureau de Göring le 6 mai. En la matière, qui peut le moins peut le plus : si Dahlerus a pu faire connaître à Londres un projet local, à plus forte raison un projet général a dû arriver sur les bords de la Tamise... mais à quel endroit au juste ? De longues stations dans les archives de Kew m'ont amené à supposer que Halifax n'avait pas communiqué l'information à Churchill, craignant sans doute de se faire rembarrer. Mais qu'il l'avait en tête lorsqu'il s'efforçait d'ouvrir une voie italienne vers la négociation, ce qu'il fait sans relâche du 25 au 28 mai.
Parmi les défauts les plus impardonnables du livre de Frieser figure l'ignorance totale du document Reynaud, alors que le livre de Costello est de 1991 et celui de Frieser de 1995. Pire, revenant sur le sujet dans un article en 2000, puis dans une interview en 2013, il ne le mentionne pas davantage.
En résumé, nous avons malgré la censure la preuve irréfutable que le Reich opère conjointement une offensive blindée et une manoeuvre diplomatique, et que celle-ci pèse fortement sur les discussions de Paris et de Londres (la censure elle-même prouve d'ailleurs qu'il ne s'agit pas d'une affaire secondaire, et que des gens ont eu honte des positions prises par certains à cette époque, à la lumière du résultat de la guerre et de la mesure prise alors, par les plus myopes, de la barbarie nazie).
Paris est alors un moulin, et Hitler peut compter pour le renseigner sur l'ambassadeur italien Guariglia, le nonce Valeri, l'ambassadeur espagnol Lequerica et bien d'autres. Il a peut-être moins d'informateurs à Londres et surtout la situation y est plus complexe et mystérieuse : la solidité du gouvernement Churchill fait problème puisque le premier ministre, certes résolu à se battre et le montrant, est cerné d'
appeasers que les désastres militaires amènent vraisemblablement à réfléchir. La capture du BEF, certaine le 24 à midi sauf Haltbefehl, ne risque-t-elle pas de renforcer Churchill au lieu de l'affaiblir ? Car ce dont il s'agit, c'est de rappeler aux "raisonnables de Londres" que le nazisme n'est pas antibritannique, que du contraire.
Donc Hitler, certes, ne freine pas pour favoriser un embarquement (encore que je retienne l'hypothèse "piston-seringue" apportée par ce débat) mais s'abstient, en tout cas, de coffrer l'armée de terre anglaise, en espérant que la menace fasse plus d'effet que sa mise à exécution -un procédé nazi au demeurant basique.