François Delpla a écrit: je suggère qu'Alias M relève son propre défi : prouver que son document central (le journal du Hgr. A du 24 mai) est plus fiable et moins suspect de traficotages que le mien (Coulondre).
Ok commençons par la base en citant les documents :
Document Coulondre :
« Offres éventuelles de paix de l’Allemagne
M. Nordling, Consul Général de Suède à Paris, qui avait accompagné M. Coulondre et le général Mittelhauser lors de la mission accomplie en Scandinavie du 12 au 14 avril, est revenu 15 jours plus tard à Paris en traversant l’Allemagne. Il s’est joint à une mission suédoise qui comprenait M. Dahlerus, industriel connu pour ses relations avec le Maréchal Göring, le Directeur des Affaires Économiques au Ministère des Affaires étrangères suédois et le chef d’État-Major des forces navales suédoises.
Cette mission a proposé au gouvernement du Reich un projet consistant essentiellement à assurer par des forces navales suédoises la police des eaux norvégiennes et la répartition équitable du minerai de fer entre l’Allemagne et les Alliés. Ce projet a été repoussé par les Allemands.
Le Maréchal Göring a cependant tenu à voir M. Dahlerus qui, à plusieurs reprises, s’était fait l’intermédiaire d’offres de paix allemandes. Le Lieutenant du Führer a exprimé l’avis que toute paix était impossible dans les conditions qui régnaient alors. Il a ajouté cependant que si la guerre était portée en Belgique et si l’armée allemande parvenait à s’emparer de la côte belge et de Calais, le Führer ferait une proposition de paix. Il demanderait l’annexion d’Eupen, de Malmédy, du bassin de Briey, ainsi que l’attribution de colonies au Reich. Pour le reste, il se contenterait, dans l’ensemble, du maintien du statu quo avant les hostilités.
Si la France repoussait ces propositions, la guerre serait étendue aux populations civiles et le peuple français « apprendrait ce qu’il en coûte d’être mal dirigé ».
Les indications ci-dessus, dont la source est absolument sûre, prennent une importance particulière à la lumière des événements qui se sont déroulés depuis lors.
Il est permis de se demander en particulier si le Duce n’attend pas le moment où M. Hitler, s’estimant vainqueur, formulerait des conditions de paix, pour entrer lui-même en scène.
(archives de Paul Reynaud, note du 20 mai de son cabinet diplomatique, probablement rédigée par Robert Coulondre) »
Tiré de http://www.delpla.org/article.php3?id_article=598
Le journal du HGr A ( traduction « empruntée » à Loïc ) :
« A 11H30, arrive le Führer, qui se fait renseigner sur la situation, par l’Oberbefehlshaber du groupe d'armée (v.Runstedt, H.Gr.A). Il (le Führer) est tout à fait d’accord avec la « conception » (de v.Runstedt), (à savoir) que l’Infanterie devrait attaquer à l’est d’Arras, (tandis que) les troupes rapides, au contraire, la ligne Lens-Béthune-Aire-Saint-Omer-Gravelines atteinte, peuvent être arrêtées, pour "saisir" l'ennemi pressé par le groupe d'armée de terre B. Il (le Führer) les souligne, en insistant sur la nécessité de ménager les forces blindées pour les opérations (futures) commandées (Opération Fall Rot), et qu'un autre rétrécissement de l’espace d’investissement (encerclement) entraînerait une restriction très indésirable de l'activité de la Luftwaffe [qui a besoin d’espace pour opérer, sans risquer de toucher les troupes allemandes]. »
Donc déjà à la base on a 2 documents de natures différentes :
D’un côté on a un document interne qui n’est pas destiné à être publié pendant les opérations donc un document « sur » tandis que le document Coulondre relate une conversation entre Goering et Dahlerus donc une discussion entre un haut responsable et un représentant/national d’un état étranger avec toutes les précautions à prendre dans ce cas.
Autre point les 2 documents n’établissent pas la même chose :
- Le journal du HGr A relate une conversation qui a eu lieu et dont l’auteur retranscrit simplement le sens des propos tenus quelques minutes ou heures plus tôt
- Le document Coulondre établit le rapport fait à Coulondre par Nordling qui relate une conversation tenue entre lui-même et Dahlerus tenue à peu près une semaine auparavant qui elle-même relatait une conversation entre Dahlerus et Goering : autant dire que le risque de perte ou de modification des informations est bien plus important dans le document Coulondre que dans le journal du HGr A.
- Par ailleurs, le document Coulondre établit une éventuelle proposition et non la réalité de faits puisqu’il évoque d’éventuels événements à venir
Enfin le journal du HGr A est confirmé par le journal de Jodl ce que vous reconnaissez pages 173 et 174 de votre propre livre puisque vous indiquez à ce propos : « puisque deux sources indépendantes, datant du jour même, disent la même chose, on est devant une vérité »
Et de là vous partez sur l’hypothèse d’une sorte de jeu de rôle entre Rundstedt et Hitler visant à abuser le scribe du HGr A et Jodl
Donc oui le journal du HGr A est fiable
A contrario, on a eu, depuis la publication de votre livre, la redécouverte et la publication des mémoires de Raoul Nordling :
« C’est donc le 10 mai que nous sommes arrivés à Berlin…
Le second jour de mon séjour, l’ingénieur Dalherus vint me trouver pour m’annoncer que le maréchal Goering désirait me voir ……. pour discuter de la possibilité d’un armistice avec la France.
Je fis observer que je n’étais qu’un simple particulier ………
Mais acceptes-tu de rencontrer Goering ? insista-t-il, et peut être cette nuit même ?
Si cela peut être d’une utilité quelconque, je suis à votre disposition
Je n’avais pas vu Goering. Mais le lendemain, Dahlerus m’apporta un message de sa part : il me remerciait de mon obligeance et comprenait fort bien qu’à l’heure présente il n’y avait aucune chance de décider les Français à engager des négociations séparées. Les conditions de l’Allemagne ne comportaient aucune clause déraisonnable. La France garderait ses frontières, sauf peut être l’Alsace-Lorraine. Les colonies feraient l’objet de négociations ultérieures. A la suite de cette paix séparées, s’ouvrirait l’ère d’une collaboration économique intime entre l’Allemagne et la France.
Mais les événements avaient été si vite, poursuivait le message du maréchal Goering, que ces conditions ne présentaient déjà plus d’intérêt à l’heure actuelle.
Goering comptait être à Calais sans onze jours et il entamerait alors des négociations directes avec la France, sur des bases plus sévères. Il terminait en disant que l’Allemagne possédait 30 000 avions, et la France pas un seul : l’issue du conflit était assurée.
Mon voyage de Berlin en Suisse a duré presque une semaine, et j’ai passé quatre nuits dans le train, allant et venant …..
Mon arrivée à Paris, tard dans la soirée du 18 mai……. »
Les mémoires de Nordling obligent à relire autrement le document de Coulondre :
En premier lieu, il apparaît que Goering n’a jamais mandaté Nordling pour une éventuelle mission diplomatique
Celui-ci n’a d’ailleurs jamais rencontré Goering ( ni le 11 , ni le 12 ni le 15 mai )
Le document Coulondre semble d’ailleurs être une sorte de synthèse entre 2 propos de Goering : une éventuelle proposition de paix « raisonnable » que Goering n’a finalement pas faîte et une possible et très vague proposition de paix sévère à venir plus tard.
Il ne retranscrit pas donc la réalité des propos tenus en laissant croire que l’Allemagne pourrait faire des propositions de paix raisonnables
Enfin, Hitler n’est jamais cité : Goering semble agir en son nom propre.
Mais l’essentiel, c’est le début du récit où Goering fait finalement faux bon à Nordling et après lui avoir fait croire qu’il le mandaterait pour une mission de paix lui indique ( via Dahlerus ) qu’il a renoncé à faire une proposition à la France
Pourquoi ?
Pour ma part, je reprends l’analyse de Kersaudy ( dans « Hermann Goering » ) qui estime que la proposition vient de Goering ( et non de Hitler ) et que le revirement tient à un véto impératif de Hitler finalement mis au courant par Goering de la diplomatie personnelle de celui-ci.