Dans les 3 mois qui suivirent l'attaque sur Pearl Harbor, les navires de transport de troupes américianes subirent de lourds dommages en partie causés par l'espionnage de la 5è colonne germano-américaine. 27 navires torpillés en janvier, autant en février, et presqu'autant que ces deux mois ensemble en mars. Le 9 février 1942, dans le port de Manhattan, le paquebot français de luxe Le Normandie fut incendié par des sympathisants pronazis. la destruction de ce navire ultra-rapide, transformé en transport de troupes, humilia fortement les autorités américaines.
Spellmann fut convoqué d'urgence à la Maison Blanche par le président Roosevelt. L'archevêque avait entre-temps été nommé aumônier général des forces armées américaines. Roosevelt lui révéla que les Allemands étaient en train de gagner «la Bataille de l'Atlantique». Malgré les immenses ressources américaines, les U-boat nazis imposaient leur loi sur l'océan. Les Allemands étaient informés à l'avance des dates de mouvement des transporteurs et des cargos, et un cordon mortel de sous-marins patrouillait au large de la côte américaine. Selon Roosevelt, ils pouvaient couler les bâtiments américains et britanniques.
Le président était convaincu que seule la Mafia, qui contrôlait les quais, tout le long du front maritime de la côte est, pouvait mettre fin à la divulgation d'informations stratégiques et aux sabotages. Son idée était que les chefs de la Mafia, qui étaient tous issus de milieux catholiques italiens, pouvaient être exhortés par un prélat du Saint-Siège à s'employer pour le bien du pays.
Roosevelt était parfaitement au courant que Frank Costello était un catholique pratiquant. On l'avait souvent vu prier dans la cathédrale où officiait Spellman. Roosevelt demanda donc à l'archevêque d'intervenir auprès de Pie XII. Il y a fort à parier que Spellman ne comptait pas sur l'appui du Saint-Père dans ce dossier, mais il transmit quand même la demande de Roosevelt en haut lieu. Le président américain, pour convaincre le clergé, cita son bon ami Winston Churchill: «Si, par un étrange coup du sort, le diable venait à s'opposer à Adolf Hitler, je me sentirais obligé de faire au moins une allusion favorable au diable, à la Chambre des Communes.»
Ainsi naquirent les bases de "l'Opération Pègre" telle que baptisée par le gouvernement US. Avec la bénédiction de Pie XII, Frank Costello fut donc rencontré par un officier de la marine américaine et vint assurer l'archevêque Spellman de son support: «Je suis honoré et heureux de pouvoir me rendre utile à mon Église et à mon pays.» La Mafia ne tarda pas à répondre par l'intermédiaire de Lucky Luciano qui, de la prison où il purgeait une peine de 50 ans, donna les ordres pour que des mesures soient prises afin d'enrayer les sabotages de navires de la flotte alliée. On remercia Luciano en lui rendant la liberté après seulement 3 ans d'internement, mais l'opinion publique aurait été choquée si on l'avait gardé sur le territoire américain. Il fut donc extradé à Naples aussi tard qu'en 1946, car Mussolini n'aurait jamais accepté le retour du gangster sur le sol italien, lui qui avait combattu la Mafia de son vivant.
Sources: La Popessa, Paul I. Murphy et René Arlington, Éditions Lieu Commun