Revenu comme promis !
Les premiers conflits entre francophones et anglophones au Canada remontent à la fin du XVIIè siècle et des tensions ont toujours été maintenues depuis ce temps avec les guerres subséquentes. Malgré la coopération des Canadiens-français, des Anglais, des Écossais et des Irlandais durant la guerre de conquête menée par les Américains en 1812, les Anglais n'avaient cessé d'essayer d'imposer leur législation et leur culture au Canada français et il en résulta une révolte des Patriotes qui fut réprimée par les Anglais. Il n'est pas vraiment surprenant alors que les Canadiens-français aient refusé d'aller combattre en Europe pendant la Grande Guerre pour appuyer le gouvernement de Sa Majesté le Roi George V. Cela n'empêcha pas les Canadiens-français, avec le glorieux 22è, de s'illustrer notamment à Saint-Éloi, Courcelette et Vimy. Le Québec, peuple pacifiste, ne voyait pas en quoi les troubles en Europe pouvaient le concerner. La loi sur la conscription de 1917 ne fut pas la bienvenue puisqu'elle provenait principalement de pressions britanniques et que l'attachement sentimental des Québécois à l'Angleterre était loin d'être le même qu'au Canada anglais, d'autant plus que l'Ontario refusait systématiquement l'enseignement de la langue de Molière dans ses écoles.
Lorsque William Lyon Mackenzie King reprit le pouvoir en 1935, bien au courant des divisions qui avaient sévi au Canada à cause de la conscription, il fit la promesse de ne pas utiliser cette mesure suite à la déclaration de guerre du Canada à l'Allemagne en 1939 afin de se voir reporter au pouvoir à la fin de son mandat en 1940. On comprend mieux l'amertume des Canadiens-français de le voir revenir sur cette promesse par voie de plébiscite en 1942 sous la pression de Churchill qui voulait voir les Canadiens fournir plus d'hommes pour compenser les pertes alliées. Le Québec se prononça avec une forte majorité contre cette mesure (72 %, 85% chez les francophones) mais dût se plier à la volonté du reste du Canada qui avait donné son approbation (79%). Le raid de Dieppe le 19 août 1942 ne modifia pas l'opinion publique. Les journaux firent état de lourdes pertes, mais vantèrent le courage des soldats canadiens contre un ennemi puissant, installé sur des positions solides. Le clergé, fort d'une influence majeure à cette époque, enjoignit les jeunes hommes à s'enrôler par une campagne de propagande où on utilisa la peur de voir débarquer les hommes du Führer sur notre sol si nous ne participions pas à l'effort de guerre. Les Canadiens-français continuèrent à s'enrôler volontairement au point de pouvoir reformer le Régiment des fusiliers Mont-Royal anéanti à Dieppe par la mort de 119 de ses hommes. Le Royal 22è en Italie, les Régiments de la Chaudière et de Maisonneuve en France, ainsi que les nombreux autres Canadiens-français disséminés dans différentes unités comme la Marine ou l'Aviation royale canadienne sont des exemples que le Québec ne s'était pas refermé sur lui-même et qu'il désirait combattre lui aussi pour la liberté.
Une lettre de la mère du soldat Armand Deschamps à son fils illustre bien le sentiment d'après Dieppe: Charny, le 28 août 1942
Mon cher fils,
Comment vas-tu? Moi, très bien et ton père aussi. Tu nous manques énormément alors quand on s'ennuie trop, on contemple ta photo placée sur notre table de chevet et l'on se rappelle tous les nombreux moments que nous avons vécus avec toi. Cela nous fait alors sourire.
Comment ça se passe en Europe? J'espère qu'ils ne sont pas trop durs avec toi. J'ai appris qu'il y avait eu une bataille à Dieppe dans le Nord de la France. Au début, je priais à toutes les cinq minutes pour que tu n'y aies pas participé, mais je me suis vite aperçue que mes prières n'avaient servi à rien. Effectivement, j'ai lu, quelques jours plus tard, dans le journal que ta division des Fusiliers y avait pris part. Quand j'ai appris cette nouvelle, j'avais si peur… j'avais si peur de ne pas te revoir. Cependant ce sentiment s'est transformé en soulagement quand ta tante Jeanne-D'Arc m'a dit qu'elle avait entendu ton nom à la radio… tu étais parmi les survivants. Ils ont aussi dit que tu avais été fait prisonnier par les Allemands et ils ont donné l'adresse pour communiquer avec toi. Laisse-toi pas faire, montre-leur que tu n'es pas une chiffe molle, mais ne sois pas trop direct parce que, eux, ils ont le pouvoir de t'arranger le portrait.
Ici, la ferme est laissée un peu à l'abandon, car vu le départ de beaucoup d'hommes à la guerre, je dois aller travailler dans une usine à Québec. Ils nous font aussi faire beaucoup de récupération : on recycle tout : des métaux jusqu' au bout de papier. Le gouvernement nous a imposé aussi beaucoup de sacrifices : la suspension du droit de grève, le gel des salaires, le rationnement. Dernièrement, il nous ont fait une grosse campagne de publicité pour nous faire acheter des bons de la victoire. Ils ont vendu pour 12 milliards de dollars là-dedans.
Ta petite fille Laura te salue… Elle commence à devenir une petite femme. Elle est présentement en vacances, mais bientôt elle débutera sa première année. On essaie de ne pas trop lui parler de la guerre pour ne pas l'inquiéter. Elle parle encore quelquefois de sa mère. On tâche de lui changer les idées dans ce temps-là. C'est difficile d'expliquer à une petite fille tout les malheurs que peut réserver la vie. Ton père est pétant de santé. À part son arthrite, tout va bien. Il continue à sculpter des figurines de jeu d'échecs pour son magasin. Ton oncle Sam est toujours vivant, mais nous nous attendons de le voir partir dans les prochains mois. Ça perturbe ton père, mais, à la longue, il se fera à l'idée que Sam est bien mieux de mourir que de souffrir avec ce terrible cancer. Moi, je continue ma besogne journalière tout en allant faire ma part dans les entreprises de Québec. Je tousse beaucoup de ce temps-ci, mais inquiète-toi pas, c'est pas cela qui va me faire mourir.
Ta mère qui t'embrasse et t'aime fort,
Fernande
Un vétéran des FMR, monsieur L.-F. Papillon m'a assuré que jamais les officiers n'ont tenté d'utiliser les événements de Dieppe pour tenter de motiver les troupes. Peut-être l'effet de la crainte aurait-il été aussi présent que le désir de vengeance et a-t-on ainsi décidé de noyer le poisson ? Un fait demeure, près de 65 ans après cette tragédie, les avis sont toujours aussi divisé chez les historiens canadiens, amateurs ou professionnels, quant à l'utilité de ce raid et aux nombres de vies sacrifiées.