Petit ajout sur la méthode, assorti d'un petit scoop...
François Delpla a écrit:Je voudrais attirer l'attention sur l'utilité, en histoire, de la chronologie dite fine.
Dans un débat comme le nôtre, qui porte sur le mois de mai 1940 et tente de cerner de quoi auraient été faites les semaines suivantes si la paix s'était produite, des citations de Mein Kampf peuvent être intéressantes, tout comme des citations de propos hitlériens à la veille de Barbarossa.
Mais elles ne sauraient être invoquées sur le même plan que des propos d'époque, et sans la moindre mention de ces différences chronologiques, propres à changer du tout au tout l'état d'esprit de l'auteur sur les sujets concernés.
Des citations de
Mein Kampf sont davantage qu'intéressantes, puisque ce livre dévoile le programme territorial d'Adolf Hitler, programme auquel il ne cessera de se tenir. Il suffit de lire les extraits que j'ai cités pour s'en convaincre : sa politique étrangère a été moulée dans cet ouvrage. Et il n'en démordra pas.
Or,
Mein Kampf souligne expressément que Hitler est résolu, d'une part à régler ses comptes avec la France, moins par vengeance que par désir de pacifier l'Ouest, d'autre part et postérieurement à cette phase de conquérir un espace vital à l'Est. Il est hors de question, selon lui, de cohabiter avec l'U.R.S.S., puissance dégénérée parce que slave, et criminelle parce que juive.
Dès lors, je vois mal pourquoi il conviendrait de disqualifier ce livre et de privilégier quelques vagues propos entourant une démarche diplomatique visant la France et la Grande-Bretagne alors que les
Panzer foncent sur Dunkerque.
Mais rappelons une fois de plus votre thèse. Selon vous, et dans l'hypothèse où l'Angleterre et la France auraient signé la paix proposée par Hitler à la fin mai 1940, le dictateur nazi aurait renoncé (!) à envahir l'U.R.S.S. et aurait été disposé à éviter aux Juifs le génocide qu'ils ont subi.
Vous ajoutez que Hitler a pris la décision d'envahir la Russie après l'attaque britannique de Mers el Kébir, le 3 juillet 1940. La résolution de Churchill l'aurait en effet amené à forcer le destin, et à s'en prendre à l'Union soviétique. Et voici quelle était votre preuve :
C'est très clair d'après les journaux de Jodl et de Halder : avant le 3 juillet, il n'est question que de ménager la bonne entente avec l'URSS pour isoler la Grande-Bretagne et la contraindre à la paix; après, il n'est question que de liquider l'Etat soviétique.
A quoi j'avais répliqué :
Ce qui se révèle là être une interprétation tendancieuse des journaux de Jodl et Halder. En vérité, ce dernier songe depuis le mois de mai à préparer l'invasion orientale. C'est à la mi-juin qu'est élaborée une première mouture du plan, baptisé Otto. Dès le 25 juin, des troupes sont redéployées à l'Est - voir Benoît Lemay, Erich Von Manstein. Le stratège de Hitler, Perrin, 2006, p. 200. Si Hitler n'en sera informé que le 21 juillet, il est difficile à admettre que de telles manoeuvres aient pu s'effectuer à son insu : il a ainsi laissé faire, préférant voir ses généraux agir d'eux-mêmes plutôt que de les solliciter, quitte ensuite à jouer la surprise. Et ce n'est que le 29 juillet que le Führer communique sa décision à Keitel et Jodl, puis à ses autres haut-responsables de l'armée deux jours plus tard. C'est qu'entre-temps, l'Angleterre a officiellement rejeté sa dernière proposition de paix... avant la suivante.
Ces faits prouvent que Hitler a laissé se développer l'idée d'une invasion de la Russie parmi ses généraux avant Mers el Kébir. Vous prétendez, mais sans le prouver, que le raid britannique a scellé sa décision : en réalité, cette décision était déjà prise depuis longtemps. Tout au plus l'intransigeance britannique lui permet-elle de mieux faire avaler, aux plus récalcitrants de ses généraux, la pilule de Barbarossa - et encore, certains ne vont-ils pas s'inquiéter d'une guerre sur deux fronts ?
Naturellement, ce passage n'a pas fait l'objet du moindre commentaire de votre part. Il est tellement d'arguments auxquels vous ne répondez pas, François... Mais passons.
Ces omissions de votre part pourraient à la rigueur s'expliquer par une étude lacunaire du dossier. Mais à la lumière de ce qui va suivre, il vous faudra m'apporter une autre explication.
Selon vous, les journaux des généraux Jodl et Halder ne faisaient nullement mention d'hostilités avec l'U.R.S.S. avant le 3 juillet 1940 ? Outre que cette "preuve" n'en était pas une, il se trouve que j'ai cherché à vérifier votre affirmation.
Et voici ce que j'ai trouvé dans le Journal du général Halder, à la date du
2 juin 1940 : Hitler a affirmé ce jour-là que
"maintenant que l'Angleterre est prête à signer la paix, il va régler leur compte aux bolcheviks" (cité dans Alexandre Nekritch,
L'Armée rouge assassinée, Grasset, 1968, p. 39, et dans Karl Klee,
Das Unternehmen "Seelöwe", Musterschmidt, 1958, p. 189).
Bref, Hitler a bel et bien déclaré à ses généraux qu'il comptait liquider l'U.R.S.S. sitôt la paix signée avec la Grande-Bretagne. Et il l'affirme bien avant Mers el Kébir. Un mois avant, pour être exact.
Ce qui ne vous empêche pas de prétendre publiquement que
"d'après les journaux de Jodl et de Halder : avant le 3 juillet, il n'est question que de ménager la bonne entente avec l'URSS pour isoler la Grande-Bretagne et la contraindre à la paix; après, il n'est question que de liquider l'Etat soviétique" !
Les termes employés par le
Führer le 2 juin 1940, non seulement démentent catégoriquement votre assertion, mais annihilent votre thèse, car démontrant que Hitler envisageait bel et bien une invasion de l'U.R.S.S. après la conclusion de la paix avec la Grande-Bretagne. Et il s'agit là... comment disiez-vous... ah oui : de
"propos d'époque".
Admettez-le : comme dans d'autres cas, votre thèse ne repose sur rien d'autre que des omissions et des erreurs de lecture.
Hitler et le général Halder. Le premier révèle au second,
dès le 2 juin 1940, son intention de "régler leur compte aux
bolcheviks".