Daniel Laurent a écrit:N'y-a-t il pas la contradiction avec ce que vous nous dites ici, a savoir qu'en cas de paix generale a l'Ouest en 1940, Hitler aurait de toute facon attaque l'URSS et declenche le judeocide de la meme maniere qu'il l'a fait en 1941 ?
Car, si je vous suis bien dans cette citation ci-dessus, Hitler a l'air de profiter de l'occasion pour accelerer la manoeuvre, et je suis bien d'accord.
Mais, en cas de paix a l'Ouest, Hitler le l'aurait pas eue, cette occasion. Il est donc logique de penser qu'il s'y serait pris autrement. Et l'hypothese d'une modification du calendrier, qui n'aurait pas change grand chose au resultat final si ce n'est de le decaler dans le temps, semble du coup interessante, non ?
A mon avis, la mondialisation du conflit n'est qu'un prétexte destiné à permettre, pour Hitler, de mieux argumenter sa décision d'exterminer les Juifs. En ce sens, les historiens qui le prennent au sérieux lorsqu'il prétendait, le 30 janvier 1939, qu'une guerre mondiale scellerait le destin des Juifs d'Europe, tombent dans le piège de sa rhétorique : la décision du génocide était déjà prise (ce discours du 30 janvier 1939 en témoigne), et l'éventuelle extension du conflit, assez prévisible, n'est qu'un moyen d'assurer sa future défense devant le Tribunal de l'Histoire, outre d'étendre la culpabilité à ses propres adversaires :
"Vous voyez, MM. Churchill et Roosevelt ! Je vous l'avais dit, que les Juifs y passeraient si vous me déclariez la guerre ! Tout est de votre faute !" Un mécanisme de pensée propre à un psychopathe, incapable de ressentir le moindre remords mais prenant plaisir à ajouter à la souffrance physique une torture morale.
La paix de 1940 lui aurait donné les mains libres à l'Est. Or, seule l'invasion de l'U.R.S.S., par le déchaînement de violences qu'elle impliquait, aurait posé les fondements du génocide. Ce n'est pas un hasard si l'action des
Einsatzgruppen, dès le 22 juin 1941, se limite aux Juifs soviétiques, et même aux seuls Juifs soviétiques
masculins : pour s'assurer du concours de l'armée, et pour progressivement habituer les bourreaux à l'entreprise qui se commet, Hitler procède par étapes. Tout d'abord, il est question de lutter contre les membres du Parti communiste et les commissaires politiques de l'Armée rouge. Ensuite, il s'agit d'éliminer la menace des partisans. Les Juifs sont alors assimilés à une menace potentielle, et sont pareillement exécutés, mais les exécutions, de manière générale, se limitent à la population masculine, car il faut éviter de choquer les consciences et essayer de susciter des pogroms, donc rechercher moult complicités chez les Baltes, les Biélorusses et les Ukrainiens. Ce n'est qu'à la mi-août 1941 qu'ordre est enfin donné d'étendre l'extermination aux femmes et aux enfants juifs, car l'exécution des hommes est de nature à pousser les survivants et les descendants à se révolter contre le
Reich.
En termes de manipulation, le génocide des Juifs soviétiques relève du grand art - n'y voyez aucune admiration de ma part, simplement un constat. Par petites touches, les S.S., l'armée, les populations occupées sont amenées à collaborer à un programme d'annihilation totale qui, s'il avait été formulé expressément en ces termes par le
Führer et par Heydrich au cours des préparatifs de
Barbarossa, n'aurait peut-être pas aussi bien été accepté par les S.S. et les militaires. Mais en donnant à la "Shoah par balles" une coloration anticommuniste et "sécuritaire", et en habituant peu à peu ses subordonnés au concept d'extermination totale, le dictateur nazi a réussi à s'attirer le soutien, la complicité ou l'abstention du plus grand nombre.
Dans ce contexte, les mesures prises ne pouvaient se limiter qu'aux Juifs soviétiques. Les Juifs polonais ne devaient pas être liquidés immédiatement car, au vu de leur déportation dans des ghettos surpeuplés des grandes villes du Gouvernement général, ils ne présentaient pas une menace directe pour la sécurité des approvisionnements militaires. Toutefois, la décision de Hitler de les parquer dans des ghettos urbains n'avait pas été prise à la légère : d'une part, cet ordre répondait à la nécessité de contrôler la communauté juive locale, d'autre part il visait à créer une situation sanitaire explosive qui aboutirait d'un côté à la mort de nombreux Juifs et de l'autre à l'impatience des autorités locales (ledit Gouvernement général), lesquelles seraient de plus en plus enclines à accepter des solutions plus radicales.
Dès lors, l'extermination des Juifs soviétiques, en faisant entrer de plein pied le
Reich dans une logique génocidaire (que l'extermination des malades mentaux avait permis de concevoir, dès 1939), allait pouvoir s'étendre aux 2 millions de Juifs polonais.
Peu importe, en ce cas, que les Etats-Unis entrent en guerre ou non. Tout avait été préparé pour que la "Solution finale de la Question juive" entre en application en 1941. Une telle politique s'inscrivait tout à fait dans le programme territorial hitlérien : le "règlement de comptes" avec la France permettait de satelliser l'Europe, et l'invasion de l'U.R.S.S. offrirait à l'Allemagne la domination de l'Eurasie. L'effondrement de la Russie aurait amené à Hitler à déclarer à ses administrateurs que la victoire permettait de résoudre définitivement la
Judenfrage.
C'est pourquoi, selon moi, la logique hitlérienne voulait que l'invasion de la Russie s'effectue, quoi qu'il arrive, dans l'année suivant la défaite de la France, paix avec la Grande-Bretagne ou pas. Encore une fois, personne n'aurait été en mesure de contester une telle décision. Mieux encore : si les Etats-Unis avaient bronché, Hitler pouvait se prévaloir de cette tension pour justifier la "Solution finale".
Bref, quoi qu'il arrive, les Juifs d'Europe ne pouvaient pas survivre. Onze millions étaient promis à trépasser - la victoire alliée en "sauvera" moins de la moitié. Et il est parfaitement erroné, donc criminel au vu du thème étudié, de prétendre qu'une victoire nazie aurait, en définitive, empêché Hitler de procéder à un tel génocide : c'est en définitive succomber aux artifices de rhétorique de ce tyran, et promouvoir (certes involontairement) le discours de ses successeurs. Car, en ce cas là, la responsabilité du génocide est transférée de Hitler à Churchill, même si Hitler est l'homme qui restera celui qui a pris la décision.
Et le Premier Ministre britannique, à qui moult "historiens" lui attribueront moult "crimes", mérite sans doute mieux que le terme de facteur déclencheur du génocide juif.