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Les Blindés français de 1915 à 1940.

Cette rubrique renferme tout ce qui concerne le front ouest du conflit, y compris la bataille des Ardennes ainsi que les sujets communs à tous les fronts tels, les enfants et les femmes dans la guerre, les services secrets, espionnage...
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Les Blindés français de 1915 à 1940.

Nouveau message Post Numéro: 1  Nouveau message de tietie007  Nouveau message 01 Mar 2007, 09:52

Source : Les blindés français, article de Philippe Naud, page 20-29, Vae Victis n°62, mai-juin 2005.
L'auteur s'est appuyé sur de nombreux ouvrages dont celui de G.Saint-Martin, L'arme blindée française, t.1, Economica 1998.

J'ai respecté le découpage des chapitres, lorsque je donne ma pensée, je précède ma phrase d'un *. Je me suis arrêté volontairement à mai 40, pour ne pas allonger démesurément le propos, l'article continuant et traitant la campagne de France, et fera l'objet d'un traitement ultérieur.

1) Les origines : l'artillerie d'assaut, 1915-1918.

En 1918, l'armée française est la plus avancée quant à l'utilisation des chars. L'un des premiers théoriciens de l'arme nouvelle est le colonel d'artillerie d'Estienne qui le 1er décembre 1915 écrit à Joffre :
"Je regarde comme possible la réalisation de véhicule à traction mécanique permettant de transporter, à travers les obstacles et sous le feu, à une vitesse supérieure à 6 km/h, de l'infanterie avec armes et bagages, et du canon."
Toutefois les anglais sont les premiers a engagé des "cuirassés terrestres" (*toujours l'esprit pragmatique british ...les français ont les idées, les anglais les appliquent !!), leur donnant le nom de camouflage de tanks, toujours synonyme de char aujourd'hui (le nom officiel du tank anglais et landship, "navire terrestre".).
Toujours est-il qu'en 1918, suivant les principes du désormais Général de division D'Estienne, l'armée française fait un usage intensif de cette "artillerie d'assaut", le meilleur exemple en étant le 16 juillet, l'attaque du général Mangin depuis la forêt de Villers-Cotterêt, sans préparation d'artillerie, mais précédée de chars Renault FT-17.
Dès 1919, le général Fayolle préconisait de former des avant-gardes motorisées pour intervenir en Allemagne, mêlant automitrailleuses, cyclistes, génie, infanterie, artillerie motorisée, transmission, préfiguration de la collaboration inter-armes allemande, 20 ans plus tard !!

2) Nul n'est prophète ...La sclérose (1920-1936).

En 1920, l'artillerie d'assaut disparaît, rattachée à l'infanterie pour devenir les "chars de combat". La volonté d'Estienne d'en faire une arme autonome est abandonée sous la pression des galonnés. Le corps des officiers est fort conservateur, comme dans toutes les armées d'Europe et chaque arme défend ses intérêts. Estienne, Inspecteur des chars de combat défendra ses idées jusqu'en 1923. Il sera écouté pour une de ses idées, le "char de rupture". Cet engin lourd et puissant (50 voire 100 tonnes !) prend forme dans les années 20 avec les quelques FCM 2C de 69 tonnes, puis les Renault B1 et B1 bis, de 31 tonnes. Mais le corps de 100 000 hommes, équipé de 4 000 chars et 8 000 autres véhicules, capable d'agir par suprise grâce à sa grande mobilité dont il défend la nécessité restera un voeu pieux.
C'est ce modèle que reprendra Charles de Gaulle en le modernisant dans "Vers l'armée de métier", en 1934. Il demandera la mise sur pied d'une "armée mécanique" de 2 500 chars.
D'autres officiers se feront aussi les avocats de cette armée tels les généraux Flavigny et Delestraint, en vain ! Un Hering, apôtre des groupes interarmes, en 1926, un Weygand, cavalier "ayant la passion du matériel", chef d'Etat-major en 1930-1931 va accélerer la motorisation, jusqu'à un Gamelin, qui s'interrogera en 1936 sur la pertinence des crédits pour les fortifications, argent certainement plus utile pour développer les chars et l'artillerie mobile ! Mais sa réflexion restera lettre morte.
Mais les généraux français, s'ils ne sont pas hostiles à la modernisation, s'obstinent à adhérer à une doctrine qui prend ses racines dans la Grande Guerre. Il faut 3 grands types de chars.
- un char lourd ou de rupture, appelé aussi "forteresse".
- un char léger, dont le FT-17 est l'exemple type, servant à accompagner l'infanterie. La France en possède 3 200 en 1919, il participera à toutes les campagnes françaises jusque dans les années 30 et reste quasiment le seul char présent dans les colonies en 1939.
- enfin un char moyen ayant pour mission de combattre les autres blindés.

Comment ses matériels doivent-il être mis en oeuvre ? Les instructions sur l'emploi tactique des unités (IGU) sont révélatrices. L'IGU 21 rédigée au lendemain de la Grande Guerre porte la patte de Pétain et met l'accent sur le feu car "l'attaque est le feu qui avance, la défense est un feu qui arrête." 15 ans plus tard, ces instructions seront repris mot pour mot dans l'IGU 36 qui stipule :
" (...) la décision, demain comme hier ne s'obtiendra que par la manoeuvre dont la vitesse et la mobilité sont les éléments essentiels" et que "le feu est le facteur prépondérant au combat" mais pour ajouter que "l'infanterie est chargée de la mission principale au combat" alors que la 1ere Panzerdivisionen vient d'être crée l'année précédente !!
Si la France s'est déjà dotée de moyens de combats modernes, commes les divisions légères mécaniques, le char demeure toujours un moyen d'appui.

3) A chacun son char.

Les engins blindés français demeurent, jusqu'à la guerre, fortement marqués par leur corps d'origine. Le règlement de 1937 est quasi à l'identique de celui de la guerre 14-18, à part que les R-35 et H-35, en service depuis 1936, remplacent le FT-17, c'est à dire une mission d'accompagnement de l'infanterie.
La cavalerie se révèle le corps le plus novateur. Elle débutera assez tôt sa motorisation avec la transformation de ses "chasseurs cyclistes" en "dragons portés", transportés en semi-chenillés Citroën P 19, à partir de 1931, en raison d'un bataillon par division de cavalerie. Sous l'impulsion du général Flavigny, inspecteur général de l'arme entre 1931 et 1936, la cavalerie est à l'origine de la première division blindée française, la DLM, constituée en 1933, soit deux ans avant la 1ere PzD.
Mais force est de constater, lors des manoeuvres, que cette DLM met l'accent sur des missions de renseignement et de couverture au service de l'infanterie plutôt que l'exploitation autonnome.
Mais la cavalerie a d'une part mauvaise presse auprès du généralissime Gamelin, d'autre part, les officiers de cavalerie sont réfractaires à la motorisation, parant leur monture de toutes les vertus ! La formule "pétrole-picotin" restera la pierre angulaire de l'arme jusqu'en 1940. Même Weygand, pourtant passionné de matériel, trouvera les idées de Flavigny trop avant-gardistes ! (*la réflexion toujours écrasée par les pratiques de la Grande Guerre. La victoire a stérilisé la théorie militaire et l'innocation. La Défaite l'a plutôt favorisé, en Allemagne...). De plus les blindés de la cavalerie suivent leur propre exigence à l'instar de l'infanterie, ils resteront des automitrailleuses, seule l'infanterie pouvant posséder des chars !
La baisse des crédits pour l'équipement, en partie mangée par la construction de la ligne Maginotn'arrangeront rien. (*l'idée que le Front Populaire aurait baissé les crédits est un mythe qui a la peau dure, un peu comme "le coup de poignard dans le dos" responsable de la défaite allemande en 18. Les crédits militaires sont relativement en baisse depuis 1919 !)

4) Un réveil tardif et confus (1936-1940).

Paradoxalement, le Front Populaire semble avoir préféré les "canons au beurre" même si il a incarné, pour certains, "l'esprit de jouissance" (*A voir le très beau film de Julien Duvivier, avec Gabin et Vanel, envoûtés par la belle Viviane Romance, dans La Belle Equipe, qui se déroule l'année 36).
A un Gamelin stupéfait,Daladier, ministre de la Guerre, promet 14 milliards de francs sur 4 ans ! Plus de 23% seront consacrés à la motorisation et seulement 8,5% aux fortifications, infléchissement de la distribution des crédits, un peu trop tardif ! Bref n'en déplaise aux poourfendeurs des 40 heures qu'on oppose à une soi-disante efficacité germanique, mythique, le Front Pop', même si il a entraîné certains désordre dans l'industrie, reste à l'origine du réarmement !
Quel usage pour cette manne tombée du ciel ?
La cavalerie va équiper, en 1937, sa deuxième DLM, puis une autre fin 1939. Elles doivent toutes recevoir le Somua S-35, un engin très moderne en 1940, et préféré aux AMC de Renault et à la piètre Panhard-Schneider P 16, reléguée à la reconnaissance et rebaptisée AMR. Cependant, le coût le coup de la motorisation de l'arme est trop élevé pour commander les 600 Somua prévus ! (*On ne rattrape pas 20 ans d'errements en un an !). Le volume est donc réduit de moitié, et la cavalerie se rabat sur les Hotchkiss H-35, armées du même canon de 37 mm du FT-17 sans réelles capacités antichars !
L'infanterie va utiliser les nouveaux crédits pour renouveler son parc de blindés. 3 modèles sont pressentis, le R-35, le H-35 et le FCM 36. Des trois, le dernier est préféré mais les Forges et Chantiers de la Méditerranée (FCM) ne peuvent pas répondre à la demande et seuls deux bataillons seront produits. Les deux autres se taillent donc la part du lion. 5 projets de divisions cuirassés voient le jour entre 1936 et 1938, mais aucune d'elles ne verra l'ébauche d'une réalisation !
Par contre, certains généraux demandent qu'un bataillon de chars soit intégré à chaque division d'infanterie (*le fameux saupoudrage au détriment de la concentration !).
Toutefois, l'infanterie reçoit enfin les chars puissants rêvés, avec les célèbres B1 bis, qui vont supplanter le Renault D2, "char de bataille" succédant au D1, dont elle pensait se doter au cas où les budgets ne permettent pas de s'équiper du B1 bis. Les B1 bis apparaissent en 1935, après la gestation laborieuse du médiocre B1. Mais la capacité de production de ce char est faible. Jusqu'en 1939, l'industrie française ne sortira que 35 exemplaires par an , soit un bataillon !!
Le général Hering fort mécontent de voir la cavalerie et l'infanterie ne pas collaborer est à l'origine du projet le plus intéressant avec deux groupements de combat ressemblant furieusement aux "combat command" américains.
Mais en 1939, Gamelin résumera l'intérêt réel qu'il porte aux blindés en affirmant :
"Il ne faut pas exagérer l'importance des divisions mécaniques !"

Chez les artilleurs, le conservatisme règne aussi en maître ! Alors que la production des automoteurs d'artillerie sur châssis Somua, disponibles dès décembre 1937, elle ne sera en fait lancée qu'en novembre 1939, les artilleurs renâclant à mettre en oeuvre des canons automoteurs !

5) La Drôle de guerre: réussite industrielle, échec doctrinal.

Le nombre de blindés disponible connaît un spectaculaire bond en avant, durant la drôle de guerre. En métropole, en septembre 1939, l'infanterie dispose de 1 288 chars modernes, plus 630 FT-17 et la cavalerie, 999 automitrailleuses modernes.
Les colonies ne drainent qu'une part modeste du parc d'engins blindés avec 180 R-35 et D1 pour l'infanterie et 70 H-35, H-39, AMR 33 et autres AMC médiocres pour la cavalerie. (*un repli sur l'AFN pour continuer la guerre, n'aurait pas permis une posture offensive.)
La produciton se rationalise, la cavalerie ne recevant plus que 2 types d'engins, les S-35 et H-39 pour ses DLM, ses derniers remplaçant les insuffisants Somua. Quant aux AMD, elles se limitent désormais à l'excellent AMD 35 Pahnard.
Dans l'infanterie, le H-39 et R-35, supplantent les autres modèles de chars légers. La production des puissants B1 bis bât elle, tous les records. Si seuls trois bataillons sont disponibles en septembre 39, 8 le sont, fin avril 40, et les prévisions tablent sur 12 pour septembre 40 ! On envisage même d'en doter en partie le Royal Tank Regiment qui ne dispose , en mai, que des Matildas I, armés de mitrailleuses, et de quelques Matildas II, armés d'un canon de 40 mm.
Le char de forteresse est remis au goût du jour, pour attaquer le Westwall. La société FCM proposant un cuirassé terrestre, de 140 t, armé d'un cancon de 90 mm et d'un de 75 mm en tourelles et de deux 25 mm en casemate !

La doctrine d'emploi des chars, n'a pas vraiment évolué durant la drôle de guerre, même si des enseignements ont été tirés de la campagne de Pologne. Mais curieusement, dans le sens des généraux français ! Gamelin et ses adjoints, condescendants envers la petite armée polonaise, constatent que cette campagne a confirmé la justesse de leur doctrine, notamment la faiblesse du char face aux armes antichars ...
D'ailleurs les projets de renforcement en armes antichars marquent le pas. Les chasseurs de chars automoteurs Laffy,sont considérés comme trop visibles, et on préfèrera attendre les livraisons de canons de 47 mm, tractés sur sur affût triflèche.
Quand en janvier 40, De Gaulle envoie son mémoire intitulé "L'avènement de la force mécanique", il prêche encore dans un désert !(*la suffisance, l'auto-satisfaction voire l'auto-célébration de certains généraux français sont parfois sidérantes !)
Toutefois, le générallisime Gamelin conçoit, à la lumière des enseignements polonais, qu'on ne peut plus construire des véhicules de combat faiblement blindés. La cavalerie doit donc recevoir des automitrailleuses plus puissantes, dont la Pahnhard 201, qui donnera naissance après-guerre à l'EBR. De la même façon, la 3e DLM reçoit des H-39 comme AMR pour ses dragons portés, il en va de même pour la 4e DLM, prévue pour juillet 40. Les divisions de cavalerie deviennent des divisions légères de cavalerie (DLC), avec moins de chevaux et mieux motorisées.
Quant à l'infanterie, elle saute le pas et crée ses premières divisions blindées , les fameuses Divisions Cuirassées de Réserve (DCR), qui loin d'être la réplique des PzD ne font que prolonger la doctrine de l'accompagnement !
La DCR de 1940, malgré ses 70 B1 Bis et 90 H-39, dispose de peu d'infanterie et de génie et quasiment pas de moyens de reconnaissance, même si une escadrille aérienne d'observations doit lui être rattachée. 3 voient le jour entre janvier et mars 1940, aucune n'a le temps d'acquérir une véritable cohésion.
Le 1er avril 1940, le général Keller, inspecteur des chars, note suite à un exercice de la 1e DCR que :
"la manoeuvre dans son exécution n'a pas donné l'impressin de force et de vitesse, caractères essentiels de la manoeuvre d'une DCR."

OUf .... :cheers:


 

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Nouveau message Post Numéro: 2  Nouveau message de tietie007  Nouveau message 02 Mar 2007, 08:45

shaitan a écrit:Merci pour l'article


De rien Shaitan. Autant faire partager quelques articles intéressants que j'ai en réserve dans ma bibliothèque !

Force est de constater qu'excepté d'Estienne et De Gaulle, qui furent les promoteurs de l'arme blindée, au niveau doctrinal, d'autres officiers généraux, comme le général Flavigny, le général Hering, et même un Weygand ont poussé à la motorisation de leurs corps. Mais ce furent souvent des actions individuelles, non coordonnées au plus haut niveau et ne procédant pas d'une réflexion doctrinale d'ensemble.
Les résistances à une évolution vers la motorisation (le fameux credo de la cavalerie "pétrole-picotin" !) puis vers le concept de "division blindée", notamment sous l'effet des logiques partisanes, ont été trop fortes. Même les DCR de 1940 n'ont pas de doctrine d'emploi très claires et restent attachés à l'accompagnement de l'infanterie !
L'armée française de 1918 était victorieuse , celà a conforté nos élites militaires dans un sentiment de supériorité intrinsèque, éludant la nécessaire réflexion théorique à l'adaptation des stratégies militaires aux nouveaux moyens matériels !
L'allemagne vaincue de 1918, a été bien obligée, elle, de faire cet effort.


 

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Nouveau message Post Numéro: 3  Nouveau message de tietie007  Nouveau message 08 Mar 2007, 11:54

Un autre article que je viens de retrouver, dans la même revue que le précédent, mais 10 ans avant.

Les passages précédés d'un * et () sont des réflexions personnelles.

La vision française des Blindés d'Estienne à De Gaulle, par François Vauvillier, Vae Victis n°6; janvier-février 1996, p 16 à 21.

Bibliographie sommaire :

L'arme blindée dans la guerre, Général Boucher, Payot, 1953.
Histoire de l'armée motorisée, A.Duvignac, Lavauzelle, 1947.
L'énigme des blindés, Général Conquet, NEL, 1956.
Les problèmes de l'armée de terre française 1935-1939, Henry Dutailly, SHAT, 1980.

1) Estienne, père de la doctrine.

En France, tout commence vraiment avec Jean Baptise Eugène Estienne, théoricien, inventeur, co-fondateur de l'aviation militaire française en 1909, colonel commandant l'artillerie de la 6e DI, en 1915.
Dans une lettre du 1er décembre 1915 au général Joffre, il évoque, pour la 1ere fois, l'idée de véhicules blindés :
"Je regarde comme possible la réalisation de véhicules à traction mécanique permettant de transporter, à travers les obstacles et sous le feu, à une vitesse supérieure à 6 km à l'heure, de l'infanterie avec armes et bagages et du canon".
Le 12 décembre 1915, au GQG, il évoque, de vive voix, l'utilisation de ces nouveaux engins.
Dans une nouvelle lettre au général Joffre, le 14 janvier 1916, Estienne apporte des précisions et donne une dimension stratégique à sa conception du cuirassé terrestre.
"Au point de vue stratégique, les cuirassés permettent de monter une grande attaque par surprise, sans préparation d'artillerie."

2) Audace et surprise pour rompre.

L'instruction du 20 août 1916 fixe avec netteté l'emploi des cuirassés terrestres :
-une attaque par surprise et en masse (idéalement, 900 cuirassés terrestres !) sur un large front.
- la recherche de la rupture du front ennemi en visant la ligne d'artillerie, de façon à permettre l'exploitation immédiate par des masses tenues en réserve.
- la tendance à distinguer des chars devant percer, sans infanterie, les lignes ennemies (chars lourds) et des chars évoluant avec l'infanterie, pour assurer le nettoyage des positions (futurs chars légers.).
- une infanterie elle-même dotée des moyens lui permettant de suivre au plus près la progression des chars ( ce dernier objectif ne sera pas réalisé en 1918.)

Les diverses batailles de 1917 et 1918 impliquant, du côté allié, une masse toujours plus importante de chars d'assaut de divers types, auront en commun de ne pouvoir obéir complètement à la vision théorique. Car si les chars se révèlent capables de briser la première ligne de résistance ennemie, les moyens de l'exploiter feront défaut : manque de vitesse et d'autonomie des chars eux-mêmes, incapacité des autres armes à les suivre lorsque la percée sera obtenue.

3) Estienne persiste et signe.

Nés au sein de l'artillerie, les chars d'assaut français sont rattachés à l'infanterie au lendemain de la Grande Guerre. (*Il me semble que la doctrine française officielle a eu du mal à s'affranchir de cette arme originelle !)
De 1920 à 1940, devenus chars de combat (dérive sémantique, on passe de l'assaut, situation exceptionnelle, à la normalité du combat !), ils seront administrés par une section, puis sous-direction, soumise au bon vouloir du directeur de l'infanterie. Au grand dam d'Estienne qui voit dans les chars :
"une arme indépendante, sans la moindre analogie avec l'infanterie dont elle diffère essentiellement en paix aussi bien qu'en guerre, en station comme en marche, par ses procédés de combat, son armement et son organisation qui nécessitent à l'arrière un puissant service de ravitaillement et d'entretien."
Nullement découragé par la mainmise de l'infanterie sur les chars, véritable péché originel dont les conséquences désastreuses se révèleront vingt ans plus tard.
En 1921, au cours d'un conférence à Bruxelles, il brosse le tableau saisissant d'une offensive blindée :
"Voici d'abord les chars de rupture de 50, 100 t peut-être, qui s'avançent, dédaigneux des détours, sous le couvert soit de la nuit, soit d'un épais brouillard naturel ou artificiel, écrasant tous les obstacles, éventrant les maisons : l'infanterie blindée, l'artillerie d'accompagnement, les suivent profitant d'un chemin tracé : les premières lignes ennemies surprises sont bientôt rompues et voici les rapides chars d'exploitation, comme jadis la cavalerie pour achever la victoire. En même temps de puissants canons sur voies ferrées, dirigés par des observateurs aériens, utilisent leurs énormes portées pour battre les derrières du champ de bataille."
Ce sera une permanence dans la conception française qui tendra à faire appuyer les attaques cuirassées par l'artillerie lourde et non par l'aviation (*Si Estienne est l'inventeur du concept de Division blindée, il ne l'associera pas à l'avion comme le fit la Blitzkrieg). S'il existe bien du potentiel aérien spécialisé en 1940, leur action ne sera pas conjuguée aux attaques terrestres. Le binôme chars-aviation n'existe pas dans l'armée française de 1940.

D'Estienne, général de division en 1918, sera nommé inspecteur des chars de combat, poste qu'il quitte en 1923. Atteint par la limite d'âge, il restera encore plusieurs années, officieusement, le patron de la section technique des chars de combat, sans plus prendre part à la définition de la doctrine. Il meurt en 1936, à 76 ans.
La Patrie reconnaissante, fera graver des médailles à son effigie et lui consacrera même un timbre poste, en 1960, de Gaulle regnans.

A noter que l'idée de constituer des divisions entièrement motorisées et blindées sera soutenue par le général Buat, grand patron de l'armée française qui préconisera en 1923, la création d'une force d'intervention composée de divisions de chars. Mais en 1924, Buat meurt et l'on change de politique ...(*il y a une malédiction qui plane sur les laudateurs de la "division blindée". D'Estienne prendra rapidement sa retraite, Buat décèdera, De Gaulle sera écartée à cause de sa brouille avec Pétain!)

Le commandant Doumenc, en 1925, réclame aussi des divisions de chars. Il proposera, en 1927, un tableau d'effectifs pour une grande unité de chars indépendante. Puis en 1929, chef du 4e Bureau de l'EMA, il rédigera une étude sur la constitution et l'emploi des grandes unités cuirassées qui restera ...lettre morte !

4) Les instruments de la doctrine.

Des grandes nations militaires, la France restera, durant l'entre-deux-guerres, la seule à favoriser le blindage, en sacrifiant la vitesse et le rayon d'action. Telle est la "solution française", plusieurs fois mis en exergue.
Dans ce cadre permanent, les programmes techniques successifs définissent à partir de 1921 trois catégories de chars dont les deux premières tirent leur origine des eneignements de la guerre précédente :
- le char lourd, ou de rupture, puis char de forteresse, susceptible d'emporter la décision en terrain fortifié.
- le char léger d'accompagnement de l'infanterie, aux dimensions réduites, dont la puissance relative réside dans la multiplicité.
- enfin, nouveau venu à mi-chemin entre les premiers cités, le char de bataille, qui va se trouver inclus par la suite dans un ensemble aux contours mouvants, celui des chars puissants (1933), ou chars moyens (1935).
Dernier enfant du général Estienne, le char de bataille est vu, en 1921, comme un développement du char léger, mais spécialisé dans le rôle antichar et , à ce titre, armé d'un canon en casemate. Ce "chasseur de chars" avant la lettre est redéfini en 1926 comme un matériel d'environ 20 t, à canon de 75 mm et doté de la radio. Mais comme les deux autres, le char de bataille, le char B, s'inscrit dans le cadre général de la progression de l'infanterie. La direction de l'infanterie, tutrice abusive, refuse au char, fut-il de bataille, toute esquisse d'action indépendante. Le premier prototype de char B était sorti début 1929. Trois exemplaires existaient en 1931 et la première série de 32 chars B1 (27 t, 40mm de blindage, 47mm en tourelle et 75 mm en coque.) n'allait entrer en service qu'à partir de 1935.
Dans le domaine du char léger, l'application du programme de 1926 débouche sur le Renault D1 (Prototype en 1929, 160 chars de série livrés de 1932 à 1935. Poids 14 tonnes, 3 hommes, un canon de 47 mm antichar en tourelle.) doté, comme le char B, de la radio.

5) La renaissance de l'offensive.

En 1932, ont lieu les premières véritables ébauches françaises de forces interarmes entièrement motorisées, réunies à l'occasion "d'exercices combinées" au camp de Mailly. Il y est notamment constitué un "détachement mécanique de combat" composé d'un groupe de reconnaissance motorisé avec motocyclistes et automitrailleuses, d'un groupe d'artillerie tractée tous terrains et d'une brigade cuirassée à deux bataillons de chars dont un équipé des nouveaux D1, plus les trois prototypes de chars B. L'idée d'un empoi plus ambitieux des engins blindés fait donc son chemin. L'instruction provisoire du 26 avril 1933 reconnaît que l'utilisation des chars modernes et la motorisation permettent de pousser l'ataque en profondeur sans attendre les autres échelons.
En 1933, les principaux ingredients terrestres de la guerre rapide se trouvent officiellement mis en lumière. Mais dans l'immédiat, seule la cavalerie fera réellement sienne cette nouvelle manière de voir, en donnant naissance à la DLM. Il faut dire qu'en 1933, l'imagination n'est pas encore au pouvoir, et que l'infanterie reste le pivot du champ de bataille !

6) Vers les divisions cuirassées.

En 1934, dans Vers l'armée de métier, De Gaulle, avec un titre provocateur, ne convertit pas les politiques pour deux raisons :
- l'idée d'armée de métier est insupportable, par nature, à la République.
- le gouvernement ne peut envisager de mettre sur pied, en temps de paix, un corps de bataille spécialisé dont le caractère offensif serait contraire à sa politique.

Malgré tout, de Gaulle ouvre une brèche dans la doctrine du "char au profit de l'infanterie" et le premier projet officiel de constitution des DCR, en 1936, n'est guère éloigné du modèle décrit dans son livre.
A la veille de la seconde guerre mondiale, aucune DCR n'est encore sur pied, mais elle est vue comme un organe de rupture. Par contre, elle est difficile à manier, elle manque d'élément de reconnaissance et incapable d'exploiter à cause d'un manque d'infanterie d'accompagnement.
Une note du 16 décembre 1938 a certes étendu les conditions d'emploi de la DCR, mais le préalable est toujours de "prolonger l'action des DI".

7) Une Panzer-Division à la française ?

A côté des chars de l'infanterie existent les automitrailleuses de cavalerie dont le nom masque une réalité "chars". La cavalerie française va entrer de plein pied dans la motorisation dans la seconde moitié des années 20. En 1930, l'arrivée de Weygand, ce cavalier qui a la passion du matériel, à la tête de l'armée dope les énergies malgré des moyens financiers réduits.
Un groupement de cavalerie est essayé avec succès aux exercices combinés de 1932, dans le cadre de la motorisation des 5 divisions de cavalerie (DC) existantes. 4 d'entre elles passent sur le "type 32", c'est à dire mixte hippo-auto à deux brigades de cheval et une brigade légère motorisée (un groupe d'automitrailleuses et un bataillon de dragons portés), tandis que la 4e DC subit une mutation totale, en devenant la première division entièrement automobile, partiellement blindée, créée dans le monde : la division légère mécanique (DLM), né d'un décret du 30 mai 1933. Une seconde sera créée en 1935, une troisième verra le jour en février 1940 et une quatrième était prévue au 1er juillet. Chaque DLM représente en mai 1940 une masse de 250 engins blindés et chenillés avec tourelle. La DLM bénéficie d'une saine conception de départ et de plusieurs années de rodage. Mais il lui manque un élément de choc, ce qu'auraient pu lui fournir un ou deux bataillons de chars B si l'on ne s'était pas obstiné à vouloir créer deux types distincts de grandes unités cuirassées.
Son organisation ne connaîtra que des modifications de détails entre 1933 et 1940, l'essentiel de l'évolution portant sur le matériel, notamment le renforcement continuel des deux régiments de combat, progressivement dotés de chars rapides Somua et Hotchkiss.
A cette époque, la DLM dispose de dotations sensiblement moitié de celles de la Panzer-Division du modèle d'octobre 1935 ( 448 chars et 44 automitrailleuses). La diminution progressive des dotations dans les PzD fera qu'en 1940, une DLM française se retrouvera aux 3/4 du potentiel d'une PzD.
Quant aux autres divisions de cavalerie (3 DC en septembre 1939, transormées en 5 divisions légères de cavalerie ou DLC en janvier-février 1940), leur motorisation totale devait intervenir à terme.).


 

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Nouveau message Post Numéro: 4  Nouveau message de clayroger  Nouveau message 08 Mar 2007, 12:24

Cet article du vénérable F Vauvilliers est effectivement très pertinent.
Je l'avais lu il y a dix ans.

Il devrait être diffusé plus largement car il fait tomber bien des mythes et "y avait qu'à ...".

La problématique du blindé en France des années 30 est bien une affaire doctrinale, doctrine qu'aucune armée au monde, hormis celle de l'Allemagne nazie, n'avait fait évoluer avant le choc de la défaite française de 40.

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Nouveau message Post Numéro: 5  Nouveau message de tietie007  Nouveau message 08 Mar 2007, 13:18

clayroger a écrit:Cet article du vénérable F Vauvilliers est effectivement très pertinent.
Je l'avais lu il y a dix ans.

Il devrait être diffusé plus largement car il fait tomber bien des mythes et "y avait qu'à ...".

La problématique du blindé en France des années 30 est bien une affaire doctrinale, doctrine qu'aucune armée au monde, hormis celle de l'Allemagne nazie, n'avait fait évoluer avant le choc de la défaite française de 40.

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Et encore en Allemagne, les résistances ont été nombreuses au sein de l'OKH ! Les allemands n'ont pas vraiment utilisé la Blietzkrieg, lors de la campagne de Pologne. Ce n'est qu'après l'adoption du Plan Manstein, en 1940, que le "Groupe Kleist", concept organisationnel radicalement nouveau, et jamais vu dans l'histoire militaire, composé de 7 divisions blindées et de 3 motorisées, pourra, pour la première fois effectuer une Blittzkrieg !


 

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Nouveau message Post Numéro: 6  Nouveau message de tietie007  Nouveau message 08 Mar 2007, 13:44

Voici un schéma très intéressant sur la filiation des chars de l'armée française, d'une guerre à l'autre :

Source : Vae Victis, n°6, janvier-février 1996, p.18.



Image

Pour mirer le schéma avec la loupe, cliquez sur le lien (N'oubliez pas de cliquez sur la vignette, lorsqu'elle apparaît).

http://img143.imageshack.us/img143/9601/evolutiondesblindsfrananf2.jpg


 

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Nouveau message Post Numéro: 7  Nouveau message de clayroger  Nouveau message 08 Mar 2007, 14:17

tietie007 a écrit:
Et encore en Allemagne, les résistances ont été nombreuses au sein de l'OKH ! Les allemands n'ont pas vraiment utilisé la Blietzkrieg, lors de la campagne de Pologne. Ce n'est qu'après l'adoption du Plan Manstein, en 1940, que le "Groupe Kleist", concept organisationnel radicalement nouveau, et jamais vu dans l'histoire militaire, composé de 7 divisions blindées et de 3 motorisées, pourra, pour la première fois effectuer une Blittzkrieg !


Avec un opposant très très connu, mais qui ne s'en est pas vanté par la suite, je veux parler d'Erwin Rommel.
Après les succès des blindés en pologne, il a fait le pied de grue au haut commandement pour obtenir le commandement d'une Panzerdivision. Ce qu'il a fini par obtenir.... de justesse !

@+


 

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Nouveau message Post Numéro: 8  Nouveau message de Audie Murphy  Nouveau message 08 Mar 2007, 14:57

Rommel s'est intéressé aux blindés parce qu'il avait compris que la cavalerie était dépassée. Il employait déjà les tactiques que les blindés ont employé plus tard avec l'infanterie pendant la Grande Guerre. Il enfonçait les lignes ennemies en profondeur et revenait sur ses arrières. Hitler l'avait gardé près de lui pour ses prouesses lors de la WWI, mais Rommel s'ennuyait profondément dans ce rôle. C'est pourquoi il a demandé le commandement d'une unité de blindés qu'il a obtenue, non pas par charité, mais parce qu'il en avait mérité pleinement le droit.


 

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