Chef Chaudart a écrit:Flûte! je retrouve plus mon Frieser, que j'avais pourtant serré entre "Htiler" de FD et "La guerre germano-soviétique". Je sais, mais un peu de cirage de pompe ne fait pas de mal, de temps en temps
Je reviens sur Jodl plus bas. Et merci pour la source (du coup, j'ai acquis le bouquin auquel l'article fait référence).
Sur ce point, nous sommes en phase, c'est aussi ma lecture. Mais n'infirme pas la querelle d'égo : Halder estime sa solution meilleure, être plus qualifié que le "politique" Hitler. Il l'estime, sans que l'on puisse vraiment savoir s'il a raison ou s'il n'est pas un peu trop optimiste.
Ce qui agace prodigieusement Halder tient aussi à de la haute stratégie: il souhaitait en finir rapidement dans le Nord pour partir à la conquête du Sud (le reste de la France) au plus vite. Or, accorder une pause aux tankistes de Von Rundstedt, alors qu'ils ne la réclament pas et que rien de sérieux ne fait obstacle à leur avance, n'a pas pour seul conséquence
d'accorder aux Alliés un répit pour fortifier leurs positions autour de Dunkerque: une telle pause leur permet également
de fortifier leurs positions au sud de la Somme! Et en toute objectivité, c'est aussi en cela que l'ordre d'arrêt du 24 mai est une ineptie sur le plan militaire.
Et Jodl, pas plus qu'Halder, ne semble penser que la reprise du 26 à portée de canon est insuffisante et qu'il faudrait prendre la ville de vive force. A noter tout de même que la prise de Dunkerque n'est pas nécessaire. Le rembarquement peut parfaitement être stoppé en l'investissant... ou en réduisant le port en cendres, par bombardement ou aérien ou terrestre.
Tout de même, Halder formule, le 30 mai, ce commentaire rétrospectif qui suggère qu'il ne partage pas l'opinion que tu lui prêtes:
"Au pis, la poche aurait été fermée à la mer si nos blindés n'avaient pas été retirés. Le mauvais temps a rivé au sol nos forces aériennes et maintenant il faut rester sur place, à regarder attentivement d'innombrables milliers d'ennemis gagner l'Angleterre en nous passant sous le nez."Quant à Jodl, son journal est trop laconique pour déterminer son sentiment.
Pour en revenir, nous pouvons toujours nous renvoyer en ping-pong les citations de untel ou untel. Tout montre que, contrairement à ce que toi et François soutenez, ce ne sont pas TOUS les généraux qui crient que l'ordre d'arrêt est une erreur monumentale et que cela laisse une porte de sortie aux assiégés.
STOOOOOOOOOOP!!! Là, du coup, je comprends le malentendu entre nous.
Je n'écris pas que les généraux beuglent contre l'ordre d'arrêt au motif que
"cela laisse une porte de sortie aux assiégés", quoique ce soit là un risque évident découlant dudit ordre d'arrêt.
J'écris simplement que les généraux beuglent contre l'ordre d'arrêt au motif que c'est effectivement une
"erreur monumentale": la victoire est au bout du fusil, et on stoppe le mouvement alors que rien de sérieux n'y fait obstacle. Ce qui,
- à l'échelle locale, accorde un répit à l'ennemi et risque de poser problème si l'avance reprend ultérieurement (en termes de sang versé),
- et à l'échelle de l'ensemble de la campagne retarde la conclusion de la bataille dans le Nord... et donc la relance de l'offensive au Sud, contre le reste du territoire français.
Sans parler de l'égo et de l'aspect politique des choses (intervention de Göring).
Bref, non seulement
rien sur le plan militaire ne justifie une telle directive, mais
tout s'y oppose, à
tous les échelons de la stratégie.
D'une part, comme je l'ai indiqué, Hitler a un certain nombre de soutiens (von Rundstedt, Jodl, Keitel et Goering, bien sûr), mais même ceux qui sont contre (Brauchitsch et Halder principalement) déplorent seulement le fait qu'on leur interdit la bataille à front renversé qu'ils ont planifiée.
Hitler peut compter sur un
"certain nombre de soutiens (von Rundstedt, Jodl, Keitel et Goering, bien sûr)"? Le problème est que lesdits soutiens ne partagent pas les mêmes vues, ni n'ont un égal accès à l'information:
1/ Rundstedt? Il souhaite simplement une pause de 24 heures parce que, notamment dans la soirée du 23, il redoute une tentative de sortie alliée. Le 26 mai, il va d'ailleurs plaider pour une reprise de l'avance.
2/ Göring? Il ne fait pas état d'une préoccupation d'ordre militaire (une éventuelle contre-attaque alliée, le souci de ménager les blindés) mais avance de la manière la plus tapageuse qui soit que la
Luftwaffe est en mesure de détruire les forces alliées dans la poche. Ce qui est absurde et, dès lors, ne saurait être sincère. D'autant que Göring est lourdement impliqué dans les négociations que tente alors Hitler avec les Franco-Britanniques par l'entremise d'agents suédois. Bref, il est évident que Göring joue un rôle, consistant à appuyer le
Führer dans l'édiction d'un ordre militairement crétin.
3/ Jodl? Son journal est trop laconique pour en déduire qu'il considère que l'arrêt du 24 mai est militairement justifié. Quant au courrier adressé le 28 mai à Robert Ley (pièce intéressante, merci), une telle pièce vise manifestement à réjouir ou rassurer l'un des pontes du Parti nazi: la victoire est imminente, car c'est la fête - oui c'est la fête - youhouhou - le
Führer est dans la place tout baigne, et vous y avez contribué. De là à en déduire que ce colonel a fermement approuvé la directive d'arrêt du 24 mai... C'est
possible, pas
certain, et même à supposer que ce le soit, on ne connaît pas les motivations de Jodl, et son point de vue resterait hyper-minoritaire.
4/ Keitel? Il justifie militairement l'ordre dans ses Mémoires par
une seule explication: les contraintes du terrain (!).
A ma connaissance, Keitel n'a pas assisté à la conférence du 24 mai au Q.G. du Groupe d'Armées A et ne fait donc pas mention des autres motifs avancés par le
Führer (liberté d'action laissée à l'aviation, préparation des futures opérations). Il semble qu'il fasse allusion à la conférence entre Hitler, Brauchitsch et Halder, qui s'est tenue dans la matinée du 25 mai, et dont il ressort du Journal de Halder:
"Maintenant le commandement politique s'est forgé l'idée de lancer dans la bataille décisive non sur le sol flamand, mais dans le nord de la France. Pour camoufler ce changement politique, on allègue que les Flandres, traversées par une quantité de voies d'eau, ne conviennent pas à la bataille de chars." Ainsi, ce que Keitel décrit comme le mobile unique de l'ordre d'arrêt du 24 mai, Halder le qualifie tout bonnement de bobard.
Il en ressort, à tout le moins, que Keitel, soit ne dit pas la vérité, soit ne sait pas tout sur tout, si bien que, dans cette dernière logique, il ressort un motif avancé par le dictateur et auquel il a alors prêté foi ou s'est entre-temps convaincu de son bien-fondé.
Bref, sur quatre soutiens, on ignore globalement la position de l'un (Jodl), et les trois autres y apportent des explications totalement contradictoires et, en toute hypothèse, incomplètes. En face, on a une écrasante majorité de généraux qui, tant à l'
O.K.H. que sur le terrain, sont opposés à l'ordre d'arrêt du 24 mai. Sachant que Rundstedt lui-même en sollicitera le retrait le 26 mai.
Je laisse de côté les généraux de division, qui n'ont qu'une vue limitée de la stratégie en cours et qui, pour certains, comme Guderian, frisent la témérité.
Leur avis n'est pourtant pas négligeable, si l'on considère les arguments des contributeurs selon lesquels l'ordre d'arrêt du 24 mai 1940 était militairement justifié (Alain Adam, notamment). Ces derniers s'appuient sur l'usure logistique et mécanique des formations blindées (inévitable, et pour rappel: réciproque, car les Alliés sont aussi concernés)...
telle qu'elle est constatée par ces officiers et répercutée en haut lieu.
Mais lesdits officiers ne font jamais état de dysfonctionnements tellement graves qu'une pause, même de courte durée, serait requise. Cette seule circonstance pulvérise la thèse d'un ordre d'arrêt aussi global dans l'espace et dans le temps prétendument justifié par des impératifs d'ordre techniques.
(Je vous remercie, incidemmment, d'avoir rappelé la prudence du Führer, qui refuse toute exploitation vers le sud tant que la mer n'est pas atteinte et que les armées dans la poche ne sont pas anéanties, la crainte de la resucée de la victoire de la Marne. Cela va dans le sens d'un Hitler en passe de réussir un coup fumant et qui veut l'assurer. Il ne veut pas prendre le risque de laisser échapper la victoire en prenant des risques inutiles. Ce qui est exactement ce que j'avance depuis le début
)
Disons que ça se discute: à première vue, il n'est pas particulièrement idiot de laisser une partie des troupes du Groupe d'Armées A démolir les armées françaises de part et d'autre de la Somme, et ce tout en cherchant à prendre à revers les armées alliées aventurées en Belgique - comme le souhaitaient Von Manstein et Halder. De telles manoeuvres reviennent à disperser les efforts de l'armée allemande, mais, au vu de la situation découlant de la percée de Sedan, n'avaient rien d'impossible aux yeux de l'
O.K.H. Or, Hitler impose de diriger tous les blindés vers les ports de Calais et Dunkerque, en étant couverts le plus possible par l'infanterie, excluant totalement le schéma Manstein/Halder. Par prudence? Possible, quoique l'
O.K.H. s'en irrite au vu des informations collectées. Mais cela n'exclut nullement une autre idée: tout concentrer sur la bataille du Nord pour limiter les affrontements à cette parcelle de la France, et faciliter la conclusion de la paix à brève échéance.