J'ai eu les mêmes expériences avec mon grand-père et mon grand-oncle qui firent chacun la campagne de 40.
Ils n'en parlèrent pas pendant des années, puis un beau jour ils ont "causé".
Pour mon grand-père, c'est venu un soir, comme ça. J'étais assez jeune à l'époque (10 ou 11 ans), mais il a raconté "sa" guerre.
Il servait dans une unité d'intendance en tant qu'officier de réserve (il avait 32 ans en 1940). Coupé de son unité mère, il s'est reposé sur les consignes qu'on lui avait donné en ce cas: revenir au point de casernement (en l'occurrence à Montauban!
).
Bien entendu son unité n'était pas motorisée et tout dû se faire à pied. A l'époque je ne connaissais que mal la campagne de 40 et ne pouvais poser des questions sur le cheminement de son périple. Les seules choses dont je me rappelle sont:
-son mécontentement de voir passer les troupes britanniques en train alors qu'eux même cheminaient à pied
-la cohabitation avec la mort: il a traversé un pont précédemment mitraillé, une voiture civile était sur la chaussée, criblée de balles ainsi que les passagers (civils eux aussi!) se trouvant à l'intérieur
Ce soir-là il a aussi raconté la réaction incongru du "planton" l'ayant accueilli à la caserne de Montauban.
Après que mon grand-père se fut mis à sa disposition celui-ci lui lâcha:
"Mais qu'est-ce que vous faîtes là? Mettez-vous en civil! Barrez-vous! Tout est fini!" Je cite cela en substance, le ton fut probablement moins familier mais tout aussi surréaliste!
Mon grand-père est décédé peu de temps après en 1989, je n'ai donc pas eu le loisir de lui poser plus de questions sur l'époque. Ma mère m'avoua que c'était la première fois qu'il en parlait avec autant de détails.
Pour mon grand-oncle, ce fut un peu plus tard, il y a une vingtaine d'années. Cela fut à la suite du cadeau que je lui avait fait d'un bouquin sur la 4è DCr, unité dans laquelle il servit en tant que "pièce rapportée" au sein du 44è BCC (unité équipée de R35 qui n'était pas normalement rattachée à une unité cuirassée).
Là encore, très peu de détails sur les combats eux-mêmes. J'ai réalisé un R35 Heller aux couleurs de son engin, il m'a alors fait passer ses archives personnelles, photos et livret militaire. J'ai alors découvert qu'il avait été décoré de la médaille militaire pour avoir tenu sa position sous un bombardement ennemi en juin 1940, mais il n'en a jamais parlé avec détails.
Il était difficile d'avoir des détails précis. Les 2 épisodes dont je me rappelle furent:
-Le fait qu'il survécut à un bombardement suite à une envie pressante, accompagné d'un camarade ayant le même besoin d'uriner, ils étaient alors sous une voûte quand un bombardement a eu lieu. Détail tragi-comique où la chance joue un certain rôle. Cette anecdote me fut racontée en diversion de la question que je luis avais posé sur sa décoration. Il avait introduit l'histoire par "Oh, tu sais, des fois les événements ne tiennent pas à grand chose"
-Chef de section, il était toujours en tête de colonne. cela le désignait pour une tâche assez macabre: dégager les corps présents sur la chaussée pour éviter que les chars ne les écrasent.
Enfin, il n'appréciait pas tellement de Gaulle, estimant qu'il les avait laisser tomber en pleine panade. La petite histoire fait souvent fi de la grande. L'angle de vue du p'tit gars en première ligne étant bien éloigné des grandes idées, des grandes décisions. C'est vrai quoi, lui il ne risque QUE sa vie
(sic)