Post Numéro: 1 de Ballon-Balma 11 Mar 2024, 15:15
Bonjour, vénérable assemblée,
Un petit problème technique me turlupine depuis quelque temps et j’espère que vous connaissez la réponse. Voici l’histoire :
Durant la Campagne de France de 1940 (10 mai-24 juin), la Luftwaffe a monté une opération de bombardement massif d’objectifs qui se trouvaient dans Paris (usines situées, je crois, à la périphérie, comme à côté des boulevards des maréchaux) et surtout dans la région parisienne : aérodromes, nœuds de communications, gares de triage ou autres, etc.). Nom de l’opération : Paula à cause du P comme Paris, ce que je ne trouve pas génial (prononcer « Paola »). Je remarque au passage que ces objectifs étaient trop nombreux et trop variés pour obtenir un bombardement efficace. Dans son livre « Les premiers et les derniers », Adolf Galland a indiqué que ce fut la seule opération stratégique de la Luftwaffe pendant cette campagne. Il semble difficile de trouver des chiffres sûrs pour les bombardiers et les chasseurs allemands qui y ont participé : peut-être (sans garantie) environ 300 bombardiers et 200 chasseurs Me 109 ou 110, mais ce n’est pas le sujet ici.
Les éléments qui suivent proviennent de l’article de Raymond Danel, un historien remarquable, dans « Icare » n° 53 (Drôle de guerre) ou 54 (La Chasse,1er tome). Prévenus par les services secrets (et aussi par les Britanniques, qui avaient d’autres sources), les Français ont installé à l’avance un émetteur radio spécial au sommet de la tour Eiffel (300 m sans… les antennes actuelles de TV et autres). Cet émetteur devait servir, quand arriveraient les avions allemands, à donner l’ordre de décoller – avec une avance appropriée, évidemment - aux formations de chasse massées tout autour de Paris et totalisant environ 250 chasseurs d’au moins 8 groupes de chasse et au moins une escadrille de Potez 631, l’ECN I/13 (bimoteurs de chasse, 3 hommes). C’est ce qui fut fait le moment venu, mais la plupart des unités de chasse ne reçurent pas ce message radio (ou ne comprirent pas) ou le reçurent fortement brouillé et difficilement compréhensible. C’est pourquoi la plupart des chasseurs décollèrent trop tard, sous les bombes qui explosaient tout autour et sous les rafales des chasseurs allemands.
Que s’est-il passé ? Toujours selon Raymond Danel, le nouvel émetteur a été employé pendant plusieurs jours [probablement par des généraux irresponsables ou par d’autres officiers supérieurs sous leurs ordres] pour envoyer « des milliers de messages » (je cite), ce qui était plus commode et plus rapide que les estafettes ; ils auraient dû y penser bien avant la guerre... Comme les Français, les Allemands avaient un service d’écoute des diverses émissions radio de l’ennemi et ils se sont doutés que ce nouvel émetteur ne pouvait qu’être nuisible (pour eux). De toute façon, les émissions de tout émetteur militaire faisaient partie des activités ennemies. Résultat : quand les formations de la Luftwaffe ont approché de Paris, les Allemands ont mis en marche un puissant brouillage de l’émetteur mentionné. Loin d’assurer la bonne transmission de l’ordre de décollage, il a fait le contraire.
Bilan de la journée : 17 chasseurs français abattus dont 2 Morane-Saulnier 406, 10 Bloch 152, 2 Curtiss H-75, 2 Dewoitine 520 et 1 Potez 631, avec 12 pilotes de chasse et 2 mitrailleurs tués et 10 pilotes blessés (sans les victimes d’accidents). Ce sont les unités de Bloch 152 qui ont eu le plus de pertes à cause des décollages sous les bombes et les rafales, mais c’étaient aussi les unités les plus nombreuses ayant participé à cette bataille aérienne : 4 groupes de Bloch et 4 autres (au moins) plus 1 escadrille de Potez 631 (l’ECN 1/13). Autres groupes participants : les GC I/3 (D.520), I/5 (Curtiss), I/6 (MS 406), III/7 (MS 406). Ces pertes sont tout à fait disproportionnées, beaucoup trop lourdes, spécialement le nombre de pilotes tués : 5 pilotes de Bloch sur 10 abattus sont morts, 3 autres grièvement blessés : 80 % en tout ! Habituellement, environ le tiers des pilotes de chasse abattus étaient tués (chiffre approximatif et sans garantie). La chasse française a obtenu 17 victoires « sûres » (11 chasseurs, 5 bombardiers, 1 Hs 126 d'observation) : le hasard a donné cette égalité des pertes des deux côtés en combat aérien (la DCA de Paris et de la région a abattu au moins un autre avion, voire davantage – je l’ignore). Les Bloch 152 ont abattu 4 Me 109 « sûrs » pour 10 des leurs. Le s-lieutenant Raphenne, du GC I/6 (Morane 406), a abattu 2 Me 109, ce qui montre une fois de plus que le Morane 406, qui avait des défauts indéniables, n’était nullement inutilisable ou impuissant en combat, il est vrai, sans doute, au prix de pertes plus importantes dans l’ensemble.
[fade]Voici maintenant le but de ce message : [/fade]qui peut confirmer le brouillage mentionné des émissions de la tour Eiffel par les méchants Allemands ? Je considère cette information comme certaine car Raymond Danel n’était pas un plaisantin mais le contraire. Cependant, quelques personnes affirment qu’il était impossible de procéder à un brouillage de ce genre. Ma réponse : j’ai travaillé pendant quatre ans dans un centre d’émissions ondes courtes très puissant de la RTF (puis ORTF) et je suis d’avis que toute émission radio (ou autre) de l’époque pouvait être brouillée (modulation d’amplitude uniquement). La Luftwaffe avait déjà une unité chargée de s’occuper précisément de ce qui concernait la radio. Son chef était le général Martini, qui, sauf erreur, a continué à sévir pendant toute la guerre, faisant des tas de misères électromagnétiques aux Alliés (surtout les Britanniques) mais, selon Galland, ce sont les Britanniques qui se sont montrés supérieurs dans cette guerre électronique (surtout nocturne).