Bonjour, je vous propose cet article extrait de :Vivre EDF Le Mag n°5, novembre/décembre/janvier 2012/2013, réalisé par Yves Deguilhem. Cela permet de mettre en avant un sujet méconnu. j'ai ajouté deux documents pour illustrer le texte. Amicalement jph
1940-1949 Le plein de pénuries
En ces années de guerre et d'occupation, faute d'énergie, la majorité des Européens grelotte, apprivoise l'obscurité. Pénurie d'essence oblige, on pédale, on marche, on fait appel au "système D" pour améliorer le quotidien. Et pendant que les moyens de production sont rançonnés par l'ennemi, les électriciens se révèlent une précieuse main d'oeuvre....
Dès 1940, la cause première du manque d'énergie dans l'Europe occupée réside directement dans les difficultés d'approvisionnement en charbon. La France reste notamment dépendante d'importations belges et britanniques. En dépit du maintien de la production intérieure- via la réouverture de mines en zone sud-, la quantité de charbon disponible dans l'Hexagone baisse d'un tiers de 1938 à 1942, passant de 67,7 à 48,3 millions de tonnes (1). Faute de charbon en quantité suffisante, et de gaz de bonne qualité, les habitants se chauffent à la tourbe, au bois. "Partout dans l'Europe occupée, les grandes villes souffrent de problèmes de ravitaillement, la pénurie alimentaire faisant le plus de dégâts, relativise Alain Beltran, historien, directeur de recherche au CNRS, président du Comité d'histoire de l'électricité. En Pologne, en Belgique, en France, l'occupant pille le charbon, la Roumanie cède son pétrole et, à cause de l'effort de guerre réclamé aux pays occupés, les usines doivent tourner." A Madrid et partout dans la péninsule ibérique, le blocus prive les citoyens de pétrole, et l'Italie soufre de la même pénurie de ressources énergétiques que ses voisins européens.
Ni chauffage électrique, ni ascenseur...
En France, l'effort porte sur la production hydroélectrique, ressource nationale et renouvelable: un "plan de dix ans" est lancé et le pourcentage de l'énergie hydraulique passe de 53 % en 1938 à 60 % en 1942, et ce malgré la sécheresse qui caractérise la décennie 40. Déjà sévèrement limitée durant la "drôle de guerre" (1939-40), la consommation d'électricité fait l'objet d'une cascade de réglementations à partir de la fin 1940 (2). L'une des premières décisions de l'occupant est de mettre la France à l'heure allemande, soit décaler les pendules de deux heures de moins... Résultat: tous les habitants, y compris les écoliers, doivent se lever alors qu'il fait encore nuit, marcher en tâtonnant dans les rues dépourvues d'éclairage, black-out oblige. Avec les difficultés croissantes, les textes de loi se font plus pointilleux, voire kafkaïens: à partir du 20 novembre 1941, les ascenseurs pour immeubles de 4 étages doivent être désactivés et les boutons correspondant aux premiers étages être retirés! En 1942, la vente et la location d'appareils électriques sont interdites et, début 1943, l'usage de chauffage électrique est totalement prohibé. La pénurie est délicate à gérer: en novembre 1941, la Compagnie parisiennes de distribution d'électricité ouvre un service des restrictions, avec bureau des réclamations. Les deux sont vite débordés! Au fil des dépassements de consommation - et des fraudes (remplacement des fusibles, branchements clandestins, manipulations de compteurs...)-, les coupures se multiplient. Côté transports, si l'on n'a ni charbon ni pétrole, on a des idées! "La voiture électrique est de nouveau fabriquée en France à quelques centaines d'exemplaires et dans toutes les grandes villes d'Europe, les véhicules à gazogène sillonnent les rues... des bus, des voitures (3) mais aussi des chars allemands, rappelle Yves Bouvier, historien, maître de conférences à l'université de Savoie. Dans sa volonté de se libérer des contraintes charbonnières, l'Etat français construit des lignes à haute tension (entre le Massif central et Nantes, les Alpes et la région parisienne), et des innovations sont lancées. Comme l'énergie marémotrice, sous la houlette de Robert Gibrat, directeur de l'électricité à Vichy (jusqu'en 1942), l'un des pères de l'usine de La Rance."
Après une ultime année de sécheresse (1949), la nouvelle décennie débute sous de meilleures augure pour les Européens ayant survécu à cette période de guerre et de pénuries. Mais la raréfaction de l'électricité a des conséquences : dans les régions où elle ne s'était pas imposée avant-guerre, tout le monde désire la "fée électricité". En ville, la raréfaction de la lumière a plongé les occupants d'un même logement dans la promiscuité. Il faudra attendre les années 1950 pour que l'éclairage individualisé (re) donne pleinement le droit à l'intimité à chaque Européen.
Précieux électriciens
A la pénurie d'approvisionnements s'ajoute celle de main d'oeuvre qualifiée, partout en Europe. Entre juin 1942 et juillet 1944, le service du travail obligatoire (STO) envoie de force 600 000 à 650 000 travailleurs français en Allemagne. Mais comme Vichy et les autorités allemandes font tout pour assurer une production électrique régulière, la formation de jeunes techniciens électriciens dans les écoles de métiers (comme celle de Gurcy-le-Châtel, en Seine-et-Marne) permet d'éviter le STO. Il en va de mêmr pour les électriciens mobilisés sur les grands chantiers hydrauliques. Une main d'oeuvre spécialisée qui procédera, le moment venu, à quelques sabotage pour entraver la production et la distribution électriques.
1/Cf. Atlas historique "La France pendant la Seconde Guerre mondiale" (Fayard, ministère de la Défense, 2010).
2/Cf. La fée et la servante (Chap.14 "Le temps des privations"), de Alain Beltran et Patrice Carré (Ed. Belin, 1991).
3/Sur les quelque 120 000 véhicules qui circulent alors, près de 90% en sont équipés (le gazogène est obtenu en brûlant du bois ou du charbon de bois).