Post Numéro: 62 de Azuréenne 08 Nov 2012, 18:48
Depuis dimanche 17 Sept. Se déroule en Hollande une phase très importante de la lutte pour l’invasion de l’Allemagne ; des troupes aéroportées ont été descendues au nord du Rhin, pour tourner à la fois ce fleuve, et la ligne Siegfried, obstacles principaux à la pénétration en territoire Teuton. On annonce aujourd’hui que la plupart des ponts sur le Bas-Rhin Hollandais ont été pris intacts, ce qui va permettre le développement des opérations sur la rive droite du fleuve et l’invasion par les plaines de Westphalie.
Toujours aucune nouvelle de Paris : un communiqué spécial indique que les autorités militaires ont limité la correspondance à certains départements du nord et centre nord de la France.
3 Octobre – La bataille d’Arnhem a été perdue par les Anglais, fâcheux accroc qui prolonge la guerre de quelques mois. La résistance allemande s’affirmant tant à l’est qu’à l’ouest et le morceau se révèle encore coriace. Il est vrai que les Alliés n’ont pas encore mené à pied d’œuvre la totalité de leurs moyens offensifs.
19 Oct. – Finalement, J.R. a été arrêté. De tous les hauts fonctionnaires que je connaissais, c’était le seul réellement anti-collaborationniste, et c’est le seul qui soit inquiété ! La fièvre d’épuration s ‘exerce un peu à tort et à travers et les condamnations à mort pleuvent avec une rigueur un peu excessive. Il est bon de marquer le sens révolutionnaire par des exemples retentissants, mais il ne faudrait tout de même pas exagérer.
Les Russes sont entrés en Prusse Orientale, et les Alliés ont pris Aix-la-Chapelle,ils s’efforcent maintenant de dégager le port d’Anvers pour faciliter leur ravitaillement.
A la Rochelle-Royan le Veron, les Boches tiennent toujours, ceinturés par les FFI… et le port de Bordeaux, intact, reste inutilisable, on espère une action enfin définitive.
Les Anglais, Américains, Russes ont officiellement reconnu le gouvernement De Gaulle, celui-ci réclamait depuis longtemps cette reconnaissance, qui accroît ses possibilités, tant à l’extérieur qu’à l’intérieur. A ce dernier point de vue, il y a actuellement un conflit entre le gouvernement et les organisations de résistance, (celles-ci à tendance communistes) au sujet du désarmement et de la dissolution des « milices patriotes ». Celles-ci constituent assurément une source d’abus et de menace de guerre civile, comme le soutient très justement De Gaulle, aucune formation armée ne doit subsister en dehors de l’armée régulière et de la police. J’ai eu l’occasion d’entendre une conférence faite par un jeune et d’ailleurs très sympathique lieutenant de cette milice. Le but est louable – surveiller et neutraliser la 5ème colonne et le marché noir, en liaison avec la gendarmerie. Mais, en fait, cette organisation, où entreront fatalement des éléments suspects, et de très jeunes hommes sans aucune juridiction, constitue un danger pour l’ordre public. Tant au point de vue de la sécurité intérieure que du prestige du gouvernement à l’extérieur, cette dissolution s’impose.
Les Résistants, plus encore que les anciens combattants de l’autre guerre, paraissent vouloir prendre une place trop grande dans le gouvernement. Il est incontestable que ce sont, en propre terme, des « Hommes » qui ont prouvé leur cran, leur courage, leur haut sentiment patriotique. Mais cela ne suffit pas pour être apte à gouverner. Le courage ne s’allie pas forcément au bon sens et au jugement sain : exemple : Darnand, Déat, qui furent d’héroïques combattants et se sont pourtant fourvoyés dans une politique criminelle.
Bref, il faut choisir des dirigeants parmi les hommes sensés de la résistance, mais le fait d’être, même un héros de la résistance, ne donne pas automatiquement droit à la maîtrise des leviers de commande.
29 Nov. Le conflit signalé plus haut entre les résistants passés à l’étranger et les résistants de l’intérieur existe dans tous les pays libérés : en Belgique, la tension est très grave et a amené des troubles sérieux : il en est de même en Grèce, Yougoslavie, Pologne. Il semble que le noyautage de l’intérieur par les communistes est à l’origine de cette situation ce qui ne veut pas dire, d’ailleurs, que la majorité de la résistance intérieure soit pour les soviets, mais ceux-ci ont constitué des éléments actifs et remuants. Actuellement, c’est en France que la tension est la moins forte, l’habileté de De Gaulle et de son gouvernement est pour beaucoup dans cet apaisement. Ce qui fait défaut avec une persistance fâcheuse, c’est la centralisation : la reprise des mandarinats, rois nègres locaux, se prolonge : les arrestations, jugements arbitraires persistent : le ravitaillement demeure défectueux. Bref, c’est toujours le désordre, la décentralisation à outrance : il semble que le gouvernement soit très capable de gouverner et sache bien ce qu’il veut, mais qu’il ne veuille pas brusquer les choses, de crainte des mouvements révolutionnaires. L’exemple de Belgique lui donne raison.
Au point de vue international, la nation alliée la plus défavorable à la France est présentement l’Amérique, alors que la Russie et l’Angleterre la soutiennent au contraire. C’est l’opposé de ce qu’on croyait avant la libération. Roosevelt a traité longtemps De Gaulle comme suspect de fascisme, il a fallu l’initiative anglaise et russe pour qu’il reconnaisse le gouvernement provisoire. Les Américains paraissent vouloir être les grands vainqueurs et les grands bénéficiaires de la victoire. Aussi les Anglais se rapprochent-ils visiblement de nous, un bloc européen se formera sans doute pour contrebalancer les exigences américaines. On dit que les Yankees nous ont trouvé beaucoup plus gras et mieux habillés qu’ils ne s’y attendaient. De notre côté, on trouve qu’ils traitent avec une scandaleuse bienveillance les prisonniers boches. Bref, il y a friction entre Sammy et français.
En attendant, De Gaulle est à Moscou : l’appui de la Russie est indispensable pour nous soutenir le cas échéant, mais il ne faudrait pas qu’elle veuille nous soviétiser : sur ce point, ce n’est pas à craindre que De Gaulle se laisse attendrir !
L’armée française de de Lattre de Tassigny, a réussi une audacieuse opération en Alsace, opération qui a tourné en grande victoire, puisque les Boches ont dû évacuer rapidement presque toute l’Alsace. Décidément, le prestige de la France et de son armée est en pleine ascension. Malheureusement, un temps exécrable et persistant dans la pluie, entrave les opérations. Hitler a Dieu avec lui !
15 Déc. La situation en Grèce est très grave : le gouvernement Papandreou, soutenu par les Anglais, est attaqué par les troupes de la résistance, c’est la guerre civile compliquée par le soutien anglais. La famine règne, aucun ravitaillement n’étant possible par les ports tenus par les résistants. En Belgique, la situation s’est améliorée, mais demeure trouble.
A L’Ouest, les Alliés avancent rapidement mais la résistance allemande demeure très dure : les Alliés en arriveront-ils à bout avant qu’ils aient eu le temps de reconstituer un armement nouveau ?
30 Déc. 44 - Le 16 les Allemands ont déclenché une très dure et très dangereuse attaque dans les Ardennes, ils ont réussi à avancer de 100 km sur 80 de large, bousculant les Américains complètement surpris. De nouveaux avions sans moteur, sont entrés en action à des vitesses de plus de 1000 km heure. En Italie, les Boches attaquent également et ont avancé sans une erreur. La guerre va-t-elle reprendre son aspect d’offensive alternée dans les 2 camps, si oui, on ne voit vraiment pas quand finiront ces horreurs.
15 Janvier 45 - L’offensive allemande des Ardennes est stoppée, elle aura eu pour effet de désorganiser l’offensive alliée en préparation. Les Boches ont fait une nouvelle offensive en Alsace et menacent Strasbourg : ils ont en outre essayé de dégager Budapest, mais en vain. Quoiqu’il en soit, ils sont encore forts en armes.
Froid très vif -15° et neige de 8cm qui tient pendant 8 jours.
20 Janv. 45 : La poche faite par les Boches dans les Ardennes est maintenant nettoyée : ils n’ont pu soutenir leur offensive, à présent ils tentent un coup dur sur le nord de l’Alsace.
Mais les Russes ont déclenché leur offensive d’hiver et foncent à toute allure : ils ont déjà avancé de 350 km et se trouvent à 250 km de Berlin. En 8 jours, ils ont pris Varsovie, Cracovie, Tilsitt et les voilà sur l’Oder. On se demande avec méfiance s’il s’agit d’un recul stratégique ou d’une défaite sensationnelle ! L’avenir le dira
La période de froid vif qui vient de s’écouler a été très durement ressentie, particulièrement en ville, où manquait presque totalement le combustible : de plus, les lacs étant gelés et le charbon n’arrivant pas, le gaz et l’électricité ont été sévèrement rationnés. D’où mauvaise humeur !
Hiatus fâcheux entre le gouvernement et les administrations. Et pourtant, que serions-nous sans De Gaulle !
8 Février 45 – L’offensive russe a marché à une allure telle qu’ils sont maintenant à 60 km de Berlin, ont franchi l’Oder, menacent Stettin, Breslau, après avoir pris Oppeln et encerclé Koenisberg. Les Boches, canardés de tous côtés, n’en mènent pas large, et on entrevoit, enfin, mais cette fois dira-t-on vrai, la fin de la guerre. Churchill, Rommel et Staline sont réunis en conférence sur la mer Noire. De Gaulle a été écarté de ce conseil et a prononcé un discours radiodiffusé assez amer et menaçant, spécifiant les vues de la France. La situation économique et alimentaire des pays libérés paraît commencer à préoccuper quelque peu les Alliés, non pas spécialement en raison des souffrances inouïes qu’elle provoque, mais de crainte des répercussions politiques qu’elle peut engendrer. Il est certain que le froid et la faim finiront par provoquer un tel mécontentement que les pires conséquences peuvent en résulter… et les Pétainistes ont beau jeu à montrer que les Alliés se révèlent égoïstes et inhumains, et que tout va plus mal, à ce point de vue, que durant l’occupation.
20 Mars 45 - Voici les Alliés au Rhin et les Russes à l’Oder : il est probable qu’une offensive de printemps, simultanée à l’Est et à l’Ouest, va enfin emporter la décision. Le beau temps favorise les Alliés, qui avancent rapidement depuis 6 jours et ont atteint et même dépassé le Rhin.
Je suis allé à Paris pour démarches, et j’ai trouvé la capitale singulièrement plus animée qu’il y a un an, sous l’occupation. De nombreux immeubles, un peu partout, portent les traces de de la fusillade, mais dans l’ensemble les dégâts sont minimes. Quantités de soldats et de soldats américains : tenue sportive avec simple blouson, sans veste, beaucoup de types de haute taille 1,90 m. Empressement des parisiens pour les guider et renseigner. Excellente tenue, sauf (quelques ivrognes) contrairement aux bruits répandus par la 5ème colonne.
Excès, maladresses, injustices de l’épuration et dans le jugement des suspects. Mauvaise foi et parti pris, de nouveau. L’amiral Estève, un brave type qui a cru rendre service à la France en demeurant en Tunisie, condamné à la dégradation militaire, détention à vie, confiscation des biens ! Exagéré. A Bordeaux,un résistant qui, arrêté, dénonce 2 communistes sous la torture : travaux forcés à perpétuité. Nicod, ancien communiste qui a voté contre Pétain et a été coffré pendant 4 ans se voit contester le titre de résistant par les communistes ! Il est quand même validé comme membre de l’Ass. consultative ! Dans le midi, les abus… abondent.
3 Mai 45 – Que d’événement depuis mes dernières lignes ! une formidable offensive alliée a défoncé et tronçonné le front allemand à l’ouest, puis les Russes ont foncé sur Berlin et Vienne. Aujourd’hui, la lutte est pratiquement terminée : seule la Bohème résiste encore. Hitler est mort on ne sait trop comment ! ainsi que Goebbels, paraît-il. Goering est en fuite. Laval ne sait où se mettre. C’est la débâcle éperdue des nazis et des traîtres qui voient leurs dernière heure arriver. Mussolini a été fusillé et son corps exposé la tête en bas dans une vitrine d’Uniprix à Milan, je crois.
Dans leur avance foudroyante, les Alliés ont libéré quantité de prisonniers, et découvert d’atroces camps de déportation, dans lesquels se pratiquaient les moyens les plus raffinés pour faire crever les malheureux qui y étaient incarcérés. Les détails sont affreux. Les Américains, outrés, ont obligé les habitants des villes environnantes à défiler devant ces horreurs, en leur faisant ainsi toucher du doigt l’ignominie du régime sous lequel ils s’étaient laissés embrigader.
Pétain, sur démarche allemande, est revenu en France par la Suisse, il est incarcéré au fort de Montrouge. Que révèlera son procès, est-ce vraiment un traître ? Je ne le crois pas. Probablement s’est-il compromis gravement avec les Boches, par haine des Anglais et des Russes, aussi par ambition, malgré son âge. En tout cas les procès Estève et Donitz ont jeté un jour peu reluisant sur l’action du général à Vichy, et sur Darlan en particulier. Pétain a revendiqué la responsabilité de toutes ces traîtrises hypocrites, il faudra bien qu’il paye.
Les élections municipales ont eu lieu le 29 avril. Dans les campagnes, du moins autour de notre village, il y a une certaine réaction contre les abus de la résistance et des comités de Libération. Au village, un seul candidat officiel : la municipalité avalisée par la résistance n’a même pas osé former une liste. Ce sont les principaux « épurés »qui sont élus. A E..., le pharmacien L... a endossé une superbe veste : c’était un vrai résistant, mais faisant peu honneur à la résistance en raison de sa hâblerie, de son puant orgueil et des excès commis sous son règne. A St-Michel, A St-Michel, je vois élu sur la liste de l’ancien conseil : l’ancien adjoint que le comité de Libération avait « épuré » pour avoir assidûment reçu chez lui des Boches, auxquels il vendait de tout, il a été réélu, en queue, il est vrai.
Le 1er mai, plantation du « Mai » traditionnel, puis, le soir, repas avec tous les voisins, dans la grange.40 personnes environ, chants, danse, un froid de loup.
17 Mai 1945 - VICTOIRE : le 7 Mai l’Allemagne a capitulé sans conditions. Hitler est mort, Mussolini fusillé, Goering prisonnier, Goebbels empoisonné avec sa famille. « Je ne capitulerai jamais » avait dit Adolf : et il n’a pas capitulé : il a laissé ce soin au Feldmaréchal Keitel, grand chef des Armées du Reich !
Fin des cahiers